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Mise à jour : 09/11/2014 09:48:00

 

LE RAIL DANS LA GRANDE TOURMENTE ( 08 - 08 - 14 )

 

1914 – 1918 :

LE RAIL DANS LA GRANDE TOURMENTE !

À mon grand-père Paul Pastiels (1890-1976), volontaire de guerre et vétéran du front de l’Yser.

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, Le Rail publie à partir de ce mois quelques articles évoquant le conflit sous l’angle particulier des chemins de fer. Ces articles aborderont successivement la mobilisation, la guerre de mouvement, la stabilisation du front et l’offensive libératrice de 1918.

L’ORAGE SE PRÉPARE

La défaite des Français à Sedan face à l’armée allemande, le 1er septembre 1870, entraîne la chute du second Empire français, la perte de l’Alsace et de la Lorraine et l’unification de l’Allemagne sous la suprématie de la Prusse dès le 18 janvier 1871. L’empire allemand se doit de rattraper rapidement le retard économique qu’elle accuse par rapport au Royaume-Uni et à la France mais elle ne dispose pas de grands espaces coloniaux. La montée des nationalismes provoque une course aux armements, des jeux d’alliances.

L’Europe se divise en deux blocs : l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie et l’Italie signent un accord défensif en 1882, dénommé la Triple-Alliance ; la France, la Russie et le Royaume-Uni se rapprochent sous la Triple- Entente dès 1907. Tous les ingrédients belliqueux d’un inévitable conflit sont réunis. L’assassinat, le 28 juin 1914, de l’archiduc héritier d’Autriche-Hongrie François-Ferdinand de Habsbourg et de son épouse met le feu aux poudres ... !

LE RAIL BELGE EST-IL PRÊT ?

Lors de ce conflit franco-prussien de 1870, la Belgique – conformément à son statut d’État neutre garanti – doit déjà protéger ses frontières : une mobilisation de l’armée et du rail s’impose. Les militaires et les cheminots doivent s’entendre pour le transport des troupes, des chevaux, du ravitaillement et du matériel. Faute d’un plan de transport bien concerté, les résultats sont plutôt mitigés ! La Commission civile et militaire des transports naît finalement en 1887. Cette commission interministérielle, siégeant sur une base permanente, étudie l’utilisation militaire des chemins de fer (organisation du transport, de la poste et du télégraphe pour les besoins d’une armée de campagne) dont le rôle devient primordial. Ce qui amène ensuite la création de la Section des Chemins de fer à l’Armée de Campagne. Au 31 décembre 1913, la Belgique prospère dispose d’un réseau ferroviaire dense de 4368 km, complété d’un réseau secondaire à voies étroites de 4094 km.

78 659 agents mettent en œuvre un parc de 4366 locomotives, 7929 voitures et 87 751 wagons affectés au service commercial.

L’ARMÉE BELGE MOBILISE

La tension politique augmentant, le ministère de la Guerre demande le 27 juillet 1914 à l’administration des Chemins de fer de l’État de prendre les dispositions préliminaires à une mobilisation éventuelle de l’armée belge selon une mise sur pied de guerre en une phase :

Préparation de 40 convois, comprenant 1136 véhicules divers pour le transport de troupes d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie ;

Préparation de 58 convois, comprenant 783 véhicules pour le transport de chevaux réquisitionnés. En outre, 240 voitures à voyageurs et 2100 wagons couverts sont appropriés respectivement au transport des blessés (voitures sanitaires) et de la troupe. Tout le matériel roulant nécessaire à ces transports est rassemblé à proximité de points d’embarquement probables.

Jusqu’au 30 juillet 1914, d’autres trains sont mis en marche pour le rapatriement des troupes en manœuvres aux camps d’Arlon, de Bourg-Léopold et de Brasschaat. Trois zones de concentration hypothétiques, selon les menaces éventuelles, sont étudiées dans les régions de: Tirlemont, Waremme, Huy ; Charleroi, Fleurus, Gembloux et Grammont, Enghien, Nivelles.

L’administration prend la décision, le 31 juillet 1914, de faire assurer le service de nuit sur tout le réseau et de consigner tout le personnel. Les locomotives à vapeur et les cheminots sont sous pression ! Des interruptions du trafic international s’annoncent du côté de l’Allemagne et du grand-duché de Luxembourg. Ce jour, le Roi décrète la mobilisation générale dès le 1er août à 0h00.

LES TRANSPORTS DE MOBILISATION ET DE CONCENTRATION

Les 1er et 2 août 1914, les militaires rappelés rejoignent les dépôts par les trains du service régulier, parfois dédoublés. 84 trains de troupes et de matériel sont mis en marche ainsi que 36 trains extraordinaires pour le transport des chevaux réquisitionnés pour la remonte. Ces convois, dirigés vers les centres de mobilisation, proviennent de toutes les régions du pays.

Le 2 août 1914, l’Allemagne adresse un ultimatum (libre passage de ses armées à travers le pays) à la Belgique qui le refuse fermement. Désormais, tout espoir de rester en dehors du conflit s’évanouit et une invasion militaire à partir de l’Est vers la France devient inévitable. La zone de concentration des troupes est dès lors déterminée.

À partir du 3 août, la circulation des trains militaires a une priorité absolue sur le trafic intérieur de voyageurs. 56 trains sont mis en marche pour l’acheminement de troupes vers Gembloux, Namur et Liège.

Le 4 août 1914, tandis que les Allemands franchissent la frontière à Gemmenich, 83 convois circulent pour acheminer respectivement la 1re division d’armée vers Louvain – Vertrijk – Tirlemont, la 5e division d’armée vers Perwez – Ramillies, des éléments de la 6e division d’armée vers Ramillies. L’évacuation immédiate du matériel roulant utilisé est réglée afin d’éviter les encombrements dans les gares.

La circulation de trains militaires se poursuit les 5 et 6 août. Tous ces transports de mobilisation et de concentration sont effectués avec ordre et précision, malgré le peu de temps imparti à l’administration pour leur préparation. Grâce à l’efficacité des cheminots, 363 trains extraordinaires à charge ont pu circuler ! La direction des Chemins de fer à l’Armée de campagne rejoint le GQG à Louvain le 6 août.

MISE HORS SERVICE DU RÉSEAU

L’état de guerre existant entre la Belgique et l’Allemagne dès le 4 août, des destructions de voies de communication, de tunnels et de ponts sont opérées tout en maintenant des liaisons ferroviaires indispensables aux mouvements des forces belges. Elles débutent dans les provinces de Liège, de Luxembourg et de Namur directement menacées par l’invasion. Les tunnels de Hombourg, de Nasproué, de Stavelot, de Comblain, de Trois-Ponts sont ainsi dynamités et/ou obstrués par le déraillement de matériel roulant. De même, les ponts de Namur, du Val-Saint-Lambert, de Melreux, de Mirwart, de Libramont, ... sont mis hors d’usage.

Ces destructions ne sont pourtant pas systématiques et totales, faute de personnel du Génie et de moyens techniques suffisants. Elles retardent néanmoins considérablement la circulation des convois allemands au cours des semaines qui suivent l’invasion.

Pendant toute la durée de l’avancée allemande, les différents services techniques tentent d’évacuer le plus possible, vers la France et vers Anvers, les locomotives, le matériel roulant, les approvisionnements, les matières premières précieuses.

LA GUERRE DE MOUVEMENT

Une fois la mobilisation et la concentration achevées, le réseau ferré devient disponible pour les transports de ravitaillement et d’évacuation de blessés, pour les mouvements tactiques éventuels. Dans la mesure du possible, le trafic ferroviaire pour les civils est maintenu dans les zones non occupées car les chefs de station restent à leur poste jusqu’au bout !

Le correspondant de guerre du Times en Belgique, Fleury-Lamure, raconte ainsi son périple du 20 août: (...). Entre Fontaine-l’Evêque et Manage, nous tombons en plein combat. Des deux côtés de la voie, les balles sifflent. Dans mon wagon, il y a en tout cinq voyageurs, deux femmes et trois hommes. Aux premiers coups de feu, sur l’ordre du chef de train, nous nous précipitons sous les banquettes avec un ensemble vraiment remarquable. Quelques balles traversent en sifflant les parois de notre wagon. Je commence à me sentir vaguement inquiet. (...)

Le chef de gare (de Braine-le-Comte) nous annonce que nous allons pouvoir continuer jusqu’à Bruxelles, la voie étant toujours libre. (...) Nous approchons d’Hal lorsque le train stoppe subitement à environ 500m de la station. Qu’y a-t-il encore ? Ce qu’il y a ? ... Les Allemands occupent la station d’Hal depuis notre départ de Braine-le-Comte. Un homme, l’aiguilleur, a fait avec sa lanterne le signal de stopper.

Voici le chef de gare d’Hal qui accourt avec deux ou trois employés. Six cents Uhlans sont campés dans la gare et occupent les voies. Si ce brave homme d’aiguilleur n’avait pas eu l’heureuse idée de faire signe au mécanicien, nous allions donner en plein dans l’ennemi, les signaux indiquant tous la voie libre.

Quelques voyageurs veulent descendre pour fuir plus vite. On les en dissuade et, doucement, le train fait marche en arrière. Nous voilà roulant à reculons jusqu’à Lembeke, où la machine est reportée en queue, et nous filons bientôt en vitesse sur Braine-le-Comte.

À Braine-le-Comte, nous apprenons que les communications sont coupées avec Charleroi. L’ennemi occupe Seneffe et Marche.

Un train va partir pour Mons. Je saute dedans et arrive à Mons, sans autre incident, à 11 h30 du soir. (...).

Après la chute de la place fortifiée de Liège, les armées allemandes poursuivent leur mouvement d’enveloppement des armées françaises à travers la Belgique selon la dernière version du plan Schlieffen. L’armée belge se replie progressivement derrière la Gette, non sans combattre, pour se réfugier finalement, le 20 août 1914, dans le camp retranché d’Anvers, sa base d’approvisionnements. La position fortifiée de Namur tombe le 25 août mais la moitié de la 4e division d’armée belge réussit néanmoins à s’échapper et à se diriger vers la France avec la Ve armée française. Les destructions ferroviaires sur les lignes « Liège-Namur » (tunnel de Seilles) et « Charleroi-Jeumont » (ponts sur la Sambre) retardent sérieusement le ravitaillement et l’approvisionnement du parc des troupes de siège allemandes se dirigeant ensuite vers la position fortifiée de Maubeuge.

LA DÉFENSE FERROVIAIRE D’ANVERS

À la demande des autorités militaires et avec la collaboration de la Compagnie du chemin de fer du Génie, les ateliers ferroviaires d’Anvers-Nord entreprennent la construction de quatre trains blindés. Une grande première ! Chaque train se compose de deux locomotives et de deux wagons. Le blindage est réalisé à l’aide de tôles de navire. L’armement comprend un canon à tir rapide de 57mm et trois mitrailleuses. Ainsi, le premier train est achevé en dix jours. Il opère déjà du 5 au 9 septembre dans les régions de Boom, Tisselt, Puurs, Lokeren, Zele et Termonde. Du 11 au 14 septembre, on le retrouve à Denderleeuw et Alost pour la destruction des ponts sur la Dendre. À partir du 25 septembre au 8 octobre, il opère à la destruction de voies et de ponts-rails, dans la région de Gand, Grammont, Lessines, Muizen et Duffel. Des trains fantômes sont également lancés.

Les trains blindés ont des destinées diverses : le premier est mis hors service par son équipage le 8 octobre suite à la destruction du pont-rail de Boom qui empêche son rapatriement ; le second opère à partir du 11 septembre jusqu’au 8 octobre pour être ensuite acheminé vers Ostende ; le troisième est évacué d’Anvers, sans personnel, dès son achèvement ; le quatrième n’est pas achevé à temps.

De même, deux autres trains blindés britanniques sont constitués à Hoboken et à Anvers-Nord. L’armement se compose de canons de marine, montés sur leurs affûts de bord. Ces trains sont mis en batterie en avant des forts de Walem et de Sint-Katelijne-Waver pour contrebattre les batteries allemandes à grande puissance, en position hors de portée des forts. Ils rentrent journellement en gare d’Anvers-Sud. Ils sont évacués vers le 7 octobre au moment où les liaisons ferroviaires vers la côte vont être coupées.

Début septembre 1914, l’administration des Chemins de fer propose à l’armée belge de construire une ligne stratégique circulaire, d’environ 70 km, destinée à relier entre eux les forts de la ligne extérieure. Un jour suffit pour établir son tracé et les travaux sont entrepris dès le 7 septembre. Cette nouvelle ligne est exploitée, dès le 1 er octobre, à voie unique et les trains blindés y circulent notamment pendant les derniers jours du siège d’Anvers. (À suivre...)

Paul Pastiels

 Mensuel des oeuvres sociales de HR Rail août 2014

Déraillement à Boortmeerbeek, en août 1914, de 4 rames tractées afin de rendre les voies inutilisables.

À Namur, sur la Meuse, les ponts des lignes vers Dinant et Arlon sont détruits en août 1914 pour retarder l'ennemi.

Bruxelles-Nord, août 1914: les derniers voyageurs ont quitté la gare; des réservistes allemands occupent la salle d'attente.

Troupes françaises sur le point d'embarquer vers le front, août 1914.

Des troupes allemandes libèrent la voie après les violents combats du 22 août 1914, à Signeulx.

 

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, nous poursuivons notre évocation du conflit en abordant ce mois-ci la guerre de mouvement.

L'ÉVACUATION D'ANVERS

La tentative allemande d'enveloppement des armées françaises s'achève début septembre 1914: la Bataille de la Marne a lieu ensuite du 6 au 13 septembre. À ce moment, la plus grande partie de la Belgique est occupée, à l'exception de la région nord-ouest. L'armée belge s'est retirée dans la position fortifiée d'Anvers. Elle effectue pourtant des sorties : les 25 et 26 août afin de viser les voies de communication ennemies (les routes du Brabant) et de percer l'armée d'observation qui les couvre ; du 9 au 13 septembre vers Vilvorde - Louvain - Aarschot. Sans le savoir, l'armée belge retient modestement en Belgique des troupes allemandes bien nécessaires ailleurs... ! La course à la mer commence...

Le GQG ordonne dès le 30 septembre 1914 l'établissement d'une nouvelle base d'approvisionnement dans la zone du littoral, les menaces allemandes d'un encerclement se précisant sur la rive droite de l'Escaut. Des transports considérables s'organisent via les itinéraires Anvers - Puurs - Tamise - Saint-Nicolas - Gand - Bruges - Ostende ou Saint-Nicolas - Zelzate - Eeklo - Bruges. Tout le matériel dont l'armée de campagne peut avoir besoin, lors de ses opérations futures, doit être évacué rapidement. C'est une véritable gageure car des tronçons des lignes empruntées sont à voie unique ! Le débit des installations hydrauliques des gares de Saint-Nicolas et de Lokeren étant insuffisant pour l'alimentation d'un grand nombre de locomotives, des tenders remplis d'eau y sont acheminés à partir de Gand. Les ponts de Boom et de Tamise ne peuvent être franchis que par une seule locomotive à la fois. Des troupes anglaises remontent à contre-courant vers Anvers. Les transports s'effectuent pourtant avec succès, en principe de nuit, mais à l'insu de l'ennemi, du 1er octobre jusqu'au 7 octobre 1914.

De Rerva, ancien lieutenant à la Garde civique, a le privilège d'être évacué par le rail dans la nuit du 3 au 4 octobre 1914: (...) On pénètre dans une station... Borgerhout ? Des rails, des voies à traverser, des files de wagons fermés, à bestiaux, à bétail humain... Il faut y monter... s'y casser... sans voir, en se bornant à palper tant bien que mal.

Lorsque tous mes soldats sont montés (je le pense du moins car on ne voit rien, et ne parle guère), je reviens au wagon réservé aux officiers, où j'avais déposé ma valise. À côté de la voiture réservée aux officiers et à l'Etat-major, je trouve place dans un wagon de troisième classe. Nuit d'encre. Plus personne ne bouge... le train non plus. Aucune signalisation n'est visible dans cette gare.

Trois heures du matin. Le train, fort lentement, quitte l'enceinte, et se dirige vers le Sud. D'après ce que nous avons entendu dire, les forts seraient déjà en mauvais état. Va-t-on nous faire descendre à proximité de l'un d'eux ? Fortes explosions derrière nous, vers la ville. Nombreuses et puissantes détonations en face, à droite, à gauche. (...) Réveillés, nous cherchions tous à nous rendre compte de notre situation, dans l'obscurité... une guerre fait apprendre la géographie pratique, sur le terrain... On ne distingue rien. Nous avons cru nous rapprocher du fort de Breendonck, franchir le Ruppel... Nous étions loin d'Anvers, probablement à proximité de l'ennemi... Notre train de bestiaux, fourgons clos, roulait sans lumière. La nuit était trouée d'éclairs intenses avec fracas de grosse artillerie. Long grondement métallique... le grand pont de Tamise et l'Escaut ? Comment a-t-on franchi cette zone, sans être repérés par un projecteur, sur des voies intactes ? (...)

Il arrive à Oostkamp, près de Bruges, à ... 10h du matin. Finalement, l'armée belge entame la retraite dans la soirée du 6 octobre. Le matin du 7, l'armée est toute entière sur la rive gauche de l'Escaut. Il ne reste à Anvers que la 2edivision d'armée et le corps anglais pour la défendre. Un bombardement très violent débute à minuit dans la nuit du 7 au 8 octobre et se poursuit sans interruption jusque dans la nuit suivante. Les dernières troupes quittent Anvers vers la rive gauche le 9 octobre. La retraite par chemin de fer de la Royal Naval Division ne s'effectue pas aussi heureusement que celle de la 2e division par voie de terre. Un train ayant été bombardé à l'est de Moerbeke, doit être abandonné. Une partie des troupes anglaises qu'il transporte sont faites prisonnières et les autres se réfugient le jour même en territoire néerlandais...

EN DIRECTION DE CALAIS

Déjà, au cours de l'avancée allemande en août 1914, des locomotives, du matériel roulant et des cheminots belges sont passés en France. 3500 agents du Nord-Belge ont été ainsi accueillis par la Compagnie française du Nord. L'opération d'évacuation la plus importante débute le 10 octobre 1914, lorsque le GQG envisage l'éventualité du transfert par rail de la base de l'armée belge vers la France, dans la région située à l'ouest de la ligne « Calais - Saint- Orner », et par la mer vers Boulogne. La situation des transports par voie ferrée devient critique car la seule ligne utilisable, via Kortemark - Dixmude - Furnes - Dunkerque, est à voie unique. Elle doit absorber tous les trains en provenance de la région d'Ostende - Bruges - Zeebrugge, sans être perturbée par le moindre incident... !

Le 11 octobre, le service public est supprimé sur les lignes « Heist - Bruges », « Bruges - Torhout - Kortemark », « Deinze - Kortemark - Furnes » et « Ostende - Torhout ».

L'évacuation de la base d'Ostende doit se faire dans l'ordre suivant :

- Obus et munitions pour armes portatives (12 trains);

- Matériel d'artillerie non utilisé ;

- Matériel de campement et d'habillement ;

- Vivres (14 trains et de nombreux wagons chargés de vivres supplémentaires) ;

- Blessés (14 trains sanitaires à évacuer) ;

- Les locomotives se trouvant dans la région d'Ostende - Bruges - Zeebrugge.

Ces mouvements s'exécutent fort mal suite à des expéditions intempestives vers Furnes de trains blindés, de trains d'autos, ..., à la lenteur de la réception des transports à la gare frontalière française de Ghyvelde. Le 12 octobre, un déraillement à Zarren provoque même un arrêt de trafic de trois heures. Le 13 octobre à 11h40, les trains immobilisés en ligne s'échelonnent d'Adinkerke à Bruges !

Le réseau devant être dégagé, on ordonne notamment de garer le matériel non indispensable pour les transports militaires sur les lignes latérales « Lichtervelde- Tielt », « Lichtervelde - Roulers - Ingelmunster » et « Dixmude - Nieuport-Bains ». Sept trains de munitions d'artillerie circulent ainsi d'Ostende vers Dixmude et sont ensuite garés sur la section de ligne « Pervijze - Nieuport-Bains » en laissant libres les passages à niveau... !

Le réseau français, également saturé, accepte respectivement 5 trains le 14 octobre, 9 trains le 15, 20 trains le 16, 9 trains le 17 et 10 trains le 18 octobre 1914. Saluons l'endurance et la ténacité de nos cheminots. Certaines équipes de conduite sont restées ainsi plus de cinquante heures sur leurs locomotives !

Nous retrouvons maintenant le lieutenant De Rerva le 15 octobre 1914 : 1h du matin, la gare de Furnes est encombrée de gens qui viennent de partout et qui fuient. Les volontaires de la I/1 s'entassent, en grappes, dans quelques coins et emmagasinent utilement du sommeil. Le chef de gare met à ma disposition son appareil téléphonique. Impossible d'atteindre le GQG à Nieuport, mais bien notre ministère de la Guerre actuellement à Dunkerque. Après avoir exposé la situation de la I/1, je reçois l'ordre de nous mettre, dès que possible, à la disposition du général Dufour à Dunkerque. Le chef de la gare de Furnes m'affirme qu'il n'y a aucun train pour Dunkerque, rien de fixé, rien de prévu. Je circule au milieu des voies. Il y a là pas mal de trains de marchandises prêts à partir, semble-t-il, et une rame de wagons pour voyageurs sur une voie de garage. Un train de ravitaillement ou de munitions va bientôt partir pour Dunkerque, dit un mécanicien. On obtient l'adjonction de trois wagons de Y classe à ce train de marchandises. Ces voitures ne sont pas encore accrochées que toutes les portières ont été ouvertes et refermées. On s'est embarqué et il n'y a plus de place. On ne peut, cependant, laisser à Furnes une partie de la compagnie.

- Pas de retard, crie un sous-chef de gare. Nuit très sombre, aucune lumière, pas de lanterne, pas de lampe électrique. Le commandant fait enlever les lanternes rondes de l'avant de la locomotive, et inspecte les trois voitures, pistolet au poing. (...) Certains s'étaient couchés, et, occupaient, à deux, un compartiment entier. Ailleurs, c'étaient des civils qui étaient parvenus à se faufiler jusqu'à la voie de garage, et avaient été accueillis par les soldats. Murmures, grognements. Sans les lanternes de la locomotive, et leur reflet sur le canon menaçant du pistolet...

Enfin, tout est bien casé et serré, y compris un bon lot de pékins (ndlr : des civils), et le lourd convoi de marchandises (lesquelles ?) roule dans la nuit, seconde édition, moins le bombardement de notre sortie nocturne de la position fortifiée d'Anvers. (...)

Dès le 18 octobre 1914, la bataille de l'Yser débute : l'armée belge se cramponne au fleuve, notamment derrière les inondations et le remblai de la voie ferrée Dixmude - Nieuport. Elle s'établit sur des positions qu'elle va quitter quatre ans plus tard, en septembre 1918, au moment de l'offensive libératrice.

MILITÀR-EISENBAHN-DIREKTION

La concentration des armées allemandes, par voies ferrées, aux frontières occidentales est réglée comme du papier à musique dans les délais impartis. L'Allemagne dispose d'un réseau ferroviaire dense, comportant de nombreux axes transversaux Est - Ouest. Les installations ferroviaires dans les gares se trouvant dans les zones de débarquement, à proximité de la frontière, ont déjà été singulièrement agrandies (rampes de déchargement allongées, voies de garages multiples, ...) au début du siècle. Durant les trois premières semaines d'août 1914, 11 100 trains circulent, acheminant quelque 3 120 000 soldats et 860 000 chevaux. La marche en avant peut commencer.

Les points frontières belges avec l'Allemagne se situent à Gemmenich, Welkenraedt, Masta ; ceux avec le grand-duché de Luxembourg (occupé également par l'ennemi) à Gouvy, Benonchamps, Sterpenich, Rodange. Les compagnies de construction et d'exploitation ferroviaire (Eisenbahn-Bau-Kompanie, EisenbahnBetrieb-Kompanie), devant réparer les ouvrages d'art et rétablir promptement les voies ferrées endommagées, se trouvent en tête avec les groupes d'éclaireurs et les avant-gardes. La traversée du tunnel d'Hombourg est rétablie le 14 août : les transports de la 1re armée allemande peuvent circuler vers Liège et Verviers. Le lendemain, malgré l'obstruction du tunnel de Nasproué, l'axe Welkenraedt - Pepinster - Angleur - Liège est mis à la disposition de la 2e armée, le pont du Val-Benoit n'ayant pas été détruit.

Numa Lecomte, sous-chef de gare à Libramont, nœud ferroviaire important raconte : (...) Le 15 août, vers 18h, une patrouille allemande, des cyclistes, déambule puis disparaît. Je suis « planton » à la gare en compagnie de l'agréé Chanly Victor. Vers 14h30, des coups de sifflet de locomotive retentissent, côté ligne de Bastogne. Ils se répètent, paraissent se rapprocher. Le distributeur des coupons, Florent Louis, arrive. Nous gagnons le faubourg, montons vers le bois de Bonance, le traversons en direction de la route de Bastogne. Près du poteau indicateur, au passage à niveau de Presseux : des Ulhans ! Sur la voie ferrée de Bastogne, côté Ourt, des soldats allemands, des

civils, précédant un convoi ayant machine en tête, machine en queue, réparent la voie sabotée. Nous sommes fixés, nous rentrons en gare. Je préviens mon chef, en visite chez M. Nemery. Il rentre d'urgence, nous invite à l'accompagner chez lui, nous offre une « goutte », nous donne connaissance d'une note confidentielle : il faut se replier... ! Le chef nous dit alors : « Ma décision est prise, j'obéis et vous ? ». D'accord, répondons-nous. « Allez prévenir les vôtres. Départ dans 30,' par la voie, pour Bertrix (...)

Au fur et à mesure de l'avancée de l'aile droite allemande vers la France via la Belgique, des tronçons de ligne du réseau ferré sont ainsi remis en service exclusivement pour les besoins militaires. À la veille de la bataille de la Marne, les différentes armées allemandes concernées disposent des axes ferroviaires suivants, vitaux pour le ravitaillement et l'acheminement des troupes de renfort :

- 1er armée : Welkenraedt - Liège - Landen - Louvain - Bruxelles - Mons - Quiévrain - Valenciennes vers Cambrai ;

- 2e armée : Welkenraedt - Liège - Landen - Gembloux - Charleroi - Berzée - Thuillies - Chimay et Welkenraedt - Liège - Namur - Charleroi ;

- 3e armée : Stavelot -Trois-Ponts - Rivage - Melreux - Marloie - Jemelle - Houyet - Anseremme ;

- 4e armée : Ulflingen - Gouvy - Libramont - Bertrix - Paliseul vers Sedan ;

- 5e armée : Luxembourg - Arlon - Libramont, Rodange - Athus - Virton-Saint-Mard - Montmédy et Audun-le-Roman - Longuyon...

Mensuel des oeuvres sociales de HR Rail septembre 2014

Paul Pastiels

 

 

Des soldats belges du régiment des Guides prennent la pose sur un wagon plat de la gare-dépôt de Braine-le-Comte, août 1914

Un train blindé en action à Niel (Anvers): un observateur d'artillerie dirige le tir des canons du haut d'un poteau télégraphique, septembre-octobre 1914

Des soldats sénégalais de l'armée française gardent la voie ferrée Dixmude-Nieuport, automne 1914

Les sorties de la place fortifiée d'Anvers donnent lieu ô des combats acharnés, 1914

Des troupes des chemins de fer et des soldats allemands posent devant la locomotive 4824 (type 23 Men gare de Marbehan, octobre 1914

Un train blindé en action près des fortifications d'Anvers, septembre 1914

Des autobus à impériale londoniens conduisent des soldats au front et évacuent les blessés vers les postes de secours de Gand-Saint-Pierre, octobre 1914

 

Dans le cadre des commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, Le Rail publie une série d'articles consacrés à l'évocation du conflit sous l'angle particulier des chemins de fer. Nous en sommes maintenant au troisième et avant-dernier volet de cette chronique. Il a pour sujet la stabilisation du front et le sort des chemins de fer et des cheminots.

STABILISATION DU FRONT OUEST

Les combats engagés dans la course à la mer et la guerre de mouvement s'achèvent en novembre 1914. La ligne du front Ouest (± 700 km) se stabilise : les armées s'enterrent face-à-face pour une longue guerre de positions. Encadrée de groupements français, la petite armée belge occupe dès lors un secteur de 28 km depuis les lisières Sud de Nieuport jusqu'à proximité de Steenstraete, le long de l'Yser. Les belligérants doivent alors adapter et organiser au mieux leurs voies de communication à ce nouveau mode d'affrontement « statique ».

MILITAR-GENERALDIREKTION DER E1SENBAHNEN IN BRÜSSEL

La direction militaire générale des chemins de fer des territoires occupés sur le front Ouest est établie à Bruxelles. Elle comprend trois directions militaires des chemins de fer (Militdr-Eisenbahndirektionen : MED1 - Lille, MED2 - Sedan, MED3 -Charleroi) dans la zone des armées le long du front et trois bureaux de gestion des lignes (Linien-Kommandanturen Bruxelles, Liège, Luxembourg), à l'arrière en zone occupée. En janvier 1916, elle gère 8054 km de voies ferrées dont 929 km à voies étroites et 1454 gares. Le parc du matériel roulant comprend 3466 locomotives dont 1858 prises de guerre. L'effectif en personnel s'élève alors à 120 307 agents (42 367 militaires, 35 424 Allemands, 33 695 agents étrangers, 8821 civils et prisonniers de guerre).

L'Eisenbahn Linien-Kommandantur est opérationnel à Bruxelles dès le 1er octobre 1914. En novembre 1914, un premier indicateur officiel des chemins de fer annonce déjà au public le rétablissement d'un certain nombre de trains (un par jour !) reliant Bruxelles à Aachen, Lille, Namur, Mons, Anvers, Courtrai et Louvain à Charleroi. «Vu l'état défectueux des lignes et des appareils d'aiguillage et de signalisation, ces trains ne peuvent encore circuler qu'à allure modérée, et la durée du trajet n'est pas garantie. C'est pourquoi il est prudent de se munir au départ des vivres nécessaires pour la route. (...) Nous croyons toutefois, en prévision des éventualités qui peuvent se produire actuellement, qu'il est préférable d'être porteur de papiers parfaitement en règle. C'est une bonne précaution. (...) ».

À proximité du front, dans les zones d'étapes de l'armée allemande, les civils sont consignés dans leur localité: pour se déplacer, ils doivent être porteurs d'un passeport et d'un laissez-passer délivrés par l'autorité militaire locale. Les transports de militaires restant prioritaires, le public n'est admis dans un train qu'au prorata des places disponibles : ce qui rend tout voyage aléatoire ... !

Le public va donc utiliser de préférence le réseau ferré secondaire des chemins de fer vicinaux. La Société nationale des Chemins de fer vicinaux (SNCV) revoit son plan de transport et organise - une grande première ! - des trains directs, sur des distances plus longues, entre les grandes agglomérations.

L'occupant allemand s'active au rétablissement des infrastructures ferroviaires détruites, utiles pour leurs transports. Il achève ainsi promptement la pose du dernier tronçon de la ligne « Bertrix - Muno - Carignan », maillon important d'un axe d'acheminement « Gouvy vers Sedan / Charleville-Mézières » qui sera parcourable dès le 19 septembre 1914. Tout un réseau ferré de raccordements à voies normales, à voies étroites de 60 cm et d'un mètre va s'articuler le long de la ligne « Ostende - Thourout - Lichtervelde - Roulers - Ingelmunster - Courtrai », en direction du front. Grâce à ces ramifications, tous les secteurs allemands peuvent être desservis. Le rail assure donc principalement la logistique: acheminement des renforts, des approvisionnements et des munitions; évacuation des blessés. Au cours du conflit, l'occupant utilise de nombreux civils et des prisonniers russes à la construction de lignes nouvelles sur notre territoire pour optimaliser leurs transports vers le front Ouest : les lignes « Vielsalm -Born », « Aachen - Visé - Tongres » et « Gouvy - Saint-Vith » sont ainsi exploitées respectivement dès le 10 janvier, le14 février et le 2 avril 1917.

Les cheminots en Belgique occupée

Dans leur grande majorité, les cheminots restés en Belgique occupée (± 70 000) refusent de participer à l'exploitation du réseau. L'occupant tente en vain de briser cette résistance car il n'a pas le personnel nécessaire. Après avoir échoué auprès des hauts fonctionnaires de l'administration, après avoir essuyé le même refus de la part du personnel subalterne - malgré les gros salaires offerts- il en arrive bientôt aux menaces et aux mesures de coercition. Les ouvriers des ateliers centraux de Cuesmes, de Luttre et de Malines en sont les premières victimes. Dans les régions de Charleroi et de Luttre, les bourgmestres doivent s'engager à n'accorder de secours d'aucune sorte aux agents des chemins de fer. Dans l'agglomération bruxelloise, on interdit aux communes de leur donner une assistance quelconque et même de leur permettre de recevoir la soupe populaire. La situation à Malines, où se trouve un atelier central de réparations, devient même critique en 1915 lorsque le gouverneur général annonce: «J'ordonne que, si le mercredi 2 juin, à 10h, 500 anciens ouvriers de l'arsenal pouvant et désirant travailler ne se présentent pas à l'ouvrage, les restrictions suivantes au trafic entreront en vigueur le 3 juin, à partir de 6h.

a) Les autorités des chemins de fer empêcheront tout trafic de personnes et de voyageurs partant des gares situées sur les parcours suivants, ou y aboutissant:

- Malines - Weerde ;

- Malines - Boortmeerbeek ;

- Malines - Wavre-Sainte-Catherine ;

- Malines - Capelle-au-Bois, y compris les gares terminus.

Il sera défendu à tout civil, sous peine d'être puni, de pénétrer dans les gares en question.

b) Toute circulation de véhicules (transport de personnes et fardeaux), de vélos, d'autos, de vicinaux et de bateaux, même en transit (à l'exception du transit des bateaux), est interdite dans la région comprise entre le pont de la chaussée de Duffel, la Nèthe et le Ruppel en aval jusqu'au confluent du canal de Bruxelles, la rive est du canal vers le sud jusqu'à Pont-Brûlé, puis les chemins d'Eppeghem, Elewyt, Wippendries, Berghsheide, Campelaar, Boort-Meerbeek, Rymenam, Wurgnes, Peulis, Hoogstraat, Wavre-NotreDame, Buckheuvel, Berkhoef, jusqu'au pont de la chaussée de Duffel. Les rails des vicinaux seront enlevés aux limites de la région délimitée ci-dessus. (...)» Les actes de sabotage délibérés envers les installations ferroviaires ne sont guère fréquents : on observe épisodiquement la destruction de fils télégraphiques ou téléphoniques, la détérioration de signaux, d'aiguillages ou de voies ferrées. Les cheminots résistent donc à leur manière, au péril de leur vie, en participant à des filières d'évasion, à l'action de divers réseaux de renseignements. L'observation et la surveillance des convois militaires, l'identification des troupes ennemies dans les nœuds ferroviaires s'avère primordiale pour les armées alliées.

LA RECONSTITUTION DES CHEMINS DE FER BELGES

Dorénavant, le Gouvernement belge transfert son siège au Havre, en France. Vers la mi-octobre 1914, des fonctionnaires se groupent et entament la besogne d'administrer les débris de ce qui avait été le réseau belge. Il s'agit d'en tirer le meilleur parti en faveur des alliés, de poser déjà les fondements de la reconstruction et de l'exploitation future du réseau. L'armée belge doit être dotée d'organismes de transport qu'elle n'avait pas. Il faut rassembler le matériel roulant qui a pu être évacué et le remettre en état en vue des offensives futures. De plus, la restauration du réseau et la reprise rapide de son exploitation, dès la reconquête du territoire national, doivent être prévues.

LES ATELIERS D'OISSEL (FRANCE)

Le 15 juin 1915, la construction d'un faisceau de garage et d'ateliers de réparation à Oissel, sur un terrain pris en location par l'État belge, est décidée. Les travaux débutent le 8 septembre et s'achèvent le 16 février 1916: pose de 17 292 m de voies, 2600 m2 de bâtiments démontables. Par la suite, la surface couverte passe respectivement à 7685 m' et 13 472 m2 par la construction supplémentaire d'un grand magasin, d'un atelier, d'une chaudronnerie, de bureaux et de dépendances, de baraquements-dortoirs, d'une cantine-réfectoire-économat, de bureaux, de douches et de bains. Cet atelier restera en service jusqu'en juin 1919...

LES CHEMINOTS DANS L'EXODE

Des cheminots débarquent en Angleterre, avec le flot des réfugiés, dès le mois d'août 1914. Un organisme se constitue à Londres - le Belgian Railways Refugees Subcommittee - dès octobre 1914 : il rassemble les cheminots, les assiste et leur procure un emploi rémunéré. L'administration des chemins de fer belge décide de concentrer, toute la main-d’œuvre disponible dans le Royaume-Uni, dans ses ateliers d'Oissel en France.

Environ 3000 cheminots passent en Hollande, pays encore neutre. Dès décembre 1914, les gouvernements britannique et belge s'entendent pour transporter en Angleterre les cheminots les plus aptes. Un service d'émigration est installé à Rotterdam et le succès est immédiat : plus de 2000 agents et leurs familles sont arrachés à l'oisiveté et coopèrent, les uns dans les administrations de chemins de fer, les autres dans l'industrie de guerre. En août 1917, on recense ainsi 6881 civils et 9686 agents sous les drapeaux. Nous retrouvons les notes du sous-chef de gare Numa Lecomte, en exil en France : « (...) En mars 1917, je suis appelé aux Chemins de fer belges, atelier de Oissel, créé de toutes pièces. Je quitte le service français, les collègues du bureau à regret. Je pars seul, prends, provisoirement, pension à Saint-Aubin-lez-Elboeuf. Journellement, un train exclusivement belge transporte le personnel belge, à Oissel, les jours ouvrables. Je trouve une belle petite maison meublée, avec beau jardin, à louer, non loin de la gare de Saint-Aubin, prix modique. Les miens m'y rejoignent. La vie de famille reprend. L'atelier de Oissel ne cesse pas de se développer. (...) La majorité du personnel était de Malines, de Louvain, d'Anvers-Nord, de Charleroi. L'ambiance était bonne. Flamands et Wallons s'entendaient bien. Ma besogne : comptabilité de tout le matériel en service. Ce qui me pesait le plus, en exil, était d'être sans nouvelle des parents. (...) »

LA COMMISSION INTERNATIONALE DES CHEMINS DE FER

Suite à un accord entre les états-majors belge et français, la Direction des chemins de fer à l'armée de campagne s'installe à Calais (base de l'armée belge) dès le 26 octobre 1914. Une liaison étroite avec les services dépendant de la Commission de Réseau du Nord s'impose car l'armée belge utilise ses lignes. Les trains quittent Calais pour se rendre au front en utilisant la ligne à voie unique « Calais - Dunkerque - Furnes ». L'armée belge utilise les gares divisionnaires suivantes : Rosendael, Leffrinckoucke, Ghyvelde, Bergues, Adinkerke et Furnes. Vingt et un trains sanitaires évacuent les blessés vers la base de Calais et au-delà.

Une Commission internationale des chemins de fer se réunit à Calais le 12 janvier 1915 afin de préparer le rétablissement et l'utilisation des communications dans la zone commune aux trois armées belge, française et britannique. Elle a pour mission de centraliser le service des chemins de fer sur la partie du théâtre d'opérations commune aux trois armées alliées (ou cobelligérantes!), de répartir les moyens d'action entre les organismes d'exécution propres à chaque armée, de fixer la part à attribuer aux troupes de chemins de fer de chacune des armées, dans la réfection des lignes et des ouvrages d'art. Elle se compose de délégués des administrations exploitantes belges et françaises, de délégués militaires des différentes armées.

Au cours de ses 46 séances, les questions suivantes sont notamment abordées :

- Principes généraux de l'emploi des chemins de fer (à voie normale et à voie étroite);

- Organisation des compagnies de sapeurs de chemin de fer et des sections de chemins de fer de campagne (S.C.F.C.) ;

- Relations avec les troupes de chemin de fer alliées et avec les réseaux français et belges

- Transports de troupes en cours d'opération ;

- Établissement de livrets de marches types et de graphiques de marches parallèles à intervalles de 20 minutes ;

- Comptabilité des transports.

Mensuel des oeuvres sociales de HR Rail octobre 2014

Paul Pastiels

Le passage à niveau de Ramskapelle en 1915. La digue ferroviaire de la ligne Dixmude-Nieuport sert de première ligne à l'armée belge

Carte commémorative du premier anniversaire de l'Eisenbahn Linien Kommandantur de Bruxelles, le 1er octobre 1915

10 janvier, le 14 février et le 2 avril 1917. Carnets de billets pour 20 voyages en 3e classe émis par l'occupant pour circuler en train entre Familleureux et Braine-le-Comte et entre
Braine-le-Comte et Forest-Midi

Vue intérieure d'une voiture-ambulance de l'armée belge

Nous voici au terme de cette série d'articles consacrés à la Première Guerre mondiale dans le cadre de la commémoration du centenaire de ce conflit. Cette grande guerre aura bouleversé tant l'échiquier mondial que l'art même de la guerre. Elle aura fait aussi beaucoup trop de victimes, civiles et militaires. Nous leur rendons hommage ainsi qu'aux cheminots qui payèrent de leur vie la défense de notre pays.

LE RÉSEAU FERROVIAIRE BELGE SUBSISTANT

En Belgique occupée, les Allemands bénéficient d'un réseau ferré dense pour leurs transports militaires. En novembre 1914, le réseau subsistant du côté du front belge est plutôt maigre : la ligne à voie unique Calais - Dunkerque - Adinkerke - Furnes - Avekapelle pour le secteur belge, la ligne Dunkerque - Bergues - Hazebrouck - Caestre - Abeele - Poperinghe, à voie unique à partir d'Hazebrouck, pour le secteur anglais. Le réseau subsistant de lignes vicinales, à voie métrique, est par contre plus étoffé autour de Furnes : la ligne vers La Panne, la ligne vers Nieuport via Coxyde ; la ligne vers Ypres via Loo et Woesten ; la ligne vers Poperinghe via Leysele, Proven et Watou.

L'exploitation intensive de ces lignes à voie unique, fort éloignées des positions, est malaisée. Les gares intermédiaires ont des capacités de garage insuffisantes. Et, en l'absence d'un réseau routier adéquat ou de voies navigables, tous les transports militaires doivent désormais reposer sur le rail !

L'exploitation des lignes de la région non envahie continue aussi longtemps que les événements militaires le permettent. Le personnel civil n'évacue Furnes que le 1er janvier 1915, après plusieurs bombardements. Ypres et Vlamertinghe ne sont remis respectivement aux autorités militaires que le 1er novembre 1914 et le 25 mai 1915. La ligne Hazebrouck - Poperinghe est exploitée par le personnel jusqu'au 4 juin 1915. Après la retraite sur l'Yser et en prévision d'une marche en avant de l'armée, une organisation nouvelle du service des chemins de fer de l'armée en campagne s'impose rapidement.

CHEMIN DE FER DE CAMPAGNE

Le 1e` mars 1915, trois sections de chemin de fer de campagne sont créées, inspirées du modèle français et composées chacune d'une brigade Voies et Travaux (155 agents), d'une brigade Traction et Matériel (133 agents) et d'une brigade Exploitation (176 agents). Le recrutement a lieu par engagement volontaire comportant pour le signataire, moyennant un régime spécial d'indemnités, l'obligation de suivre l'armée et de se séparer de sa famille pour la durée de la guerre. Cette organisation évolue au cours du temps. L'autorité militaire étudie un projet ayant pour but de transformer la section en un organe purement militaire, composé de cheminots tombant sous l'application des lois sur la milice. Ainsi transformée, la section est placée, avec le bataillon de chemin de fer du Génie (B.C.F.) et la section de chemins de fer vicinaux de campagne, sous l'autorité d'une commission dénommée Commission de réseau de chemin de fer de campagne et composée d'un commissaire militaire (officier supérieur de l'armée belge) et d'un commissaire technique (ancien directeur des chemins de fer de campagne). La direction civile des chemins de fer de campagne est donc destinée à disparaître.

En temps de guerre, la construction de voies ferrées est surtout conditionnée par la rapidité d'exécution des travaux. Le bataillon de chemin de fer du Génie étudie pour le montage de la voie, une méthode originale de travail et des moyens mécaniques propres à assurer un rendement élevé du personnel disponible. Un train-type pour la pose de voies se compose de deux wagons plats portant chacun 60 rails de 12 m posés en plusieurs couches, 4 à 7 wagons portant 840 traverses, un wagon plat contenant les tire-fonds, les chevilles, les boulons et les éclisses. Une vitesse de pose de 1000 m à l'heure peut être ainsi atteinte. Faute de ballast, du sable est extrait des dunes du littoral. Des sablières sont ouvertes, d'abord près de la frontière française à Adinkerke, ensuite à Duinhoek. Elles peuvent livrer 2352 tonnes par jour avec, parfois, des pointes allant à 4000 tonnes par jour !

La modeste gare d'Adinkerke va connaître un développement spectaculaire de ses installations pour l'accueil des nombreux trains militaires : créations de faisceaux de garage, d'une remise à locomotives, d'un parc du Génie, de dépôts divers. La construction d'une ligne militaire Adinkerke - Proven débute le le' septembre 1915 et s'achève le 21 juillet 1916 via lsenberghe, Klein Leisele, Waaienburg. Cette ligne, longue de 28 km, dessert ainsi des dépôts d'intendance, des hôpitaux d'évacuation, des ateliers pour wagons et locomotives, des épis de tir pour l'artillerie lourde sur voie ferrée (A.L.V.F.), des gares de transbordement vers les lignes vicinales. Elle fait jonction avec la ligne anglaise Bergues-Proven vers Boezinge. La ligne Adinkerke- Furnes -Oostkerke est mise à double voie. Elle dessert notamment un hôpital d'évacuation à Oosthoek, un garage d'A.L.V.F. à Furnes, les épis de tir de Westhoek.

Autour de ces axes ferroviaires à voie normale (1,435 m) et de lignes vicinales à voie métrique, tout un réseau de lignes à voie étroite (0,60 m) complémentaires draine alors l'intendance et les munitions vers tous les secteurs du front. À l'est de la route de Furnes à Ypres, il atteint Nieuport, les abords de Pervyse, Oostkerke, Oudecapelle, Noordschoote et Steenstraete. En septembre 1918, ce réseau s'étend sur 200 km.

L'entretien de ce nouveau réseau ferré, mis à rude épreuve, requiert l'utilisation d'un piocheur par 1000 m de voie : les normes de l'administration en temps de paix sont donc doublées ! Entre la France et le front, dans les deux sens, circulent un courant ininterrompu de trains journaliers (de matériel, de matériaux de construction, de vivres), de trains sanitaires, de trains de permissionnaires, de trains de renfort, de trains de munitions. 136 trains circulent ainsi sur le réseau le 2 août 1917. Ce nombre atteint 150 le 2 octobre 1918, lorsque la conquête de la crête des Flandres s'achève

L'OFFENSIVE LIBÉRATRICE

En septembre 1918, l'armée belge tient un front de 35 km s'étendant depuis la mer, à Nieuport-Bains, jusqu'au nord d'Ypres. Ensuite, la IIe armée britannique occupe un secteur long de 20 km, d'Ypres à Armentières. Le front allemand ne peut être abordé qu'à partir de Dixmude vers Ypres. L'offensive débute le 28 septembre 1918, à 5h30, après une préparation d'artillerie de trois heures. La manœuvre d'ensemble vers Gand ne pourra se développer que lorsque l'assaillant sera sorti de la cuvette de l'Yser. Ce qui est fait trois jours plus tard.

La reconquête du territoire se poursuit. La logistique doit suivre : il est impératif que les voies de communication soient promptement rétablies ! Déjà, dès la fin 1914, l'autorité militaire se préoccupe de prévoir des réserves suffisantes pour la remise en état et l'exploitation des lignes de communications de l'armée au cours d'une offensive en territoire envahi. Ainsi, en janvier 1916, un programme prévoit la réparation de 637 km de voies pour la constitution d'une ligne de communication attribuée à l'armée belge (Dunkerque-Bruges-Anvers - Diest - Hasselt - Lanaeken) et de deux liaisons de Gand à Zottegem et d'Anvers à Bruxelles, en vue de raccorder la ligne belge à la ligne de communication de l'armée britannique.

Les enseignements des combats de la Somme, au printemps 1917, font apparaître la gravité des dégâts subis par le réseau abandonné par l'ennemi en retraite. Les réserves sont augmentées : la hauteur des stocks est portée à 50% de la longueur des voies à réparer. La livraison des premières fournitures n'étant prévue qu'en février 1919, les autorités belges se voient d'abord obligées d'utiliser du matériel canadien cédé par l'armée britannique, des rails destinés à la construction de blindages par le Génie belge, des traverses françaises de fabrication portugaise.

Des trains-parcs (servant de logement, d'ateliers et de magasins) sont constitués pour l'exécution des travaux de réparation de la voie ferrée. Ils se composent généralement d'une voiture-bureau pour le personnel dirigeant, d'une autre pour les employés et les dessinateurs, de wagons couverts pour les ateliers des ajusteurs et des menuisiers, d'un wagon pour le transport de l'outillage des forgerons, d'un second pour l'atelier des plombiers-zingueurs, de wagons-magasins, d'un wagon-cuisine, de wagons-dortoirs, de wagons plats pour le transport de l'outillage et de matériaux divers.

L'ARMISTICE

Début novembre, l'armée allemande est en déroute. Les services ferroviaires connaissent l'anarchie, l'indiscipline. Les installations souffrent beaucoup. Privées de surveillance, les gares offrent un spectacle de désordre indescriptible : c'est le pillage généralisé !

Le 11 novembre 1918, au moment de l'armistice, la ligne du front s'étire de Selzaete, au nord, via Langerbrugge, Gentbrugge, Meirelbeke, Munckzwalm, Nederbrackel, Ellezelles, Ath, Sirault, Mons, Recquignies (F), Beaumont, Seloignes-Monceau, à la frontière française.

À l'ouest de cette ligne, le réseau ferré est exsangue. 1100 km de lignes sont totalement détruites et 400 km partiellement. 1419 ouvrages d'art sont démolis dont 350 ponts importants et un tunnel. 593 stations et haltes (sur 1450 avant la guerre) sont inaccessibles. Les principales gares de formation sont détruites par les explosions. 30 000 wagons chargés de munitions (parfois pourvues d'un dispositif de mise à feu à retardement... !), de matériel ou de butin de guerre encombrent le réseau. Le matériel roulant récupéré, faute d'entretien, est à la limite de l'usure. La tâche ardue de reconstruction du réseau attend les cheminots, plus que jamais, motivés : mais cela constitue une autre histoire... !

Numa Lecomte, sous-chef de gare à Rousbrugge, est mobilisé depuis le let septembre 1918 (contingent 1916) et versé aux Chemins de fer de Campagne. Il se souvient du dernier jour de guerre : « (...) La nuit du 10 au 11 novembre 1918, j'assure le service. Le bruit court que l'armistice est pour le 11. Bien que relevé à 7h, je reste en gare, espérant que la nouvelle tant attendue allait être annoncée. À 9h, je me décide à regagner Rousbrugge. (...) Mon sommeil, fut de très courte durée. Dans la rue, sur la place publique, civils et militaires, dans une liesse délirante, chantent La Madelon, Tiperary, cependant que les cloches sonnent à toute volée, que de nombreux couples, aux sons d'orchestres improvisés, dansent follement: la guerre est finie... !».

UN PREMIER TRAIN EN BELGIQUE RECONQUISE

De retour au pays après un long périple, A. Jacquemin observe les paysages dévastés : «Samedi 14 décembre 1918 -À 6h40, à la pointe du jour, toute notre bande se retrouve en gare de Bruges, dans un wagon à bétail du train régulier qui doit nous conduire à Bruxelles par Eecloo, Gentbrugge, Wetteren, Termonde, Malines. Nous allons rentrer dans le champ de bataille des derniers combats de 1918, ceux qui précédèrent immédiatement l'armistice et dont les effets nous font rêver en frissonnant à ce que serait devenue notre pauvre Belgique si la guerre s'était prolongée pendant quelques semaines.

Un peu avant d'atteindre Eecloo, à Galverbeke, de part et d'autre du village très abîmé, se creusent des tranchées, s'élèvent des abris bétonnés, s'étendent des barbelés, s'ouvrent des entonnoirs. (...)

Aux approches de Gand, les ponts sont détruits, leur tablier plongeant en deux formidables inclinaisons dans l'eau qu'obstruent encore des péniches coulées. Le chemin de fer est, dans toute cette région, en entière réfection. Jusqu'à Gentbrugge - car nous contournons la ville de Gand en laissant sur le côté la gare de Saint-Pierre totalement rasée - l'immense garage à l'aspect d'une grande plaine de sable qu'auraient agitée d'indescriptibles séismes ; attaqués par une systématique destruction, les rails y sont tordus, projetés en l'air, rompus, sautés ; (...) les plaques tournantes sont défoncées et leurs débris s'affalent dans les cuvettes circulaires qu'elles encombrent; les poteaux télégraphiques ont été sciés, la tranche en est toute fraîche et ils gisent tombés, ayant arraché les derniers fils télégraphiques ; les petits poteaux sur lesquels tournaient les poulies qui font se mouvoir les sémaphores et les disques, sont, eux aussi, tranchés au niveau du sol; des entonnoirs de bombes, d'obus et de mines, variolent le sol ; ailleurs, il ne reste surie sable la trace, rien que la trace, des traverses et des rails ; les pompes pour l'alimentation des locomotives sont brisées, les bloks sont éventrés ou démolis ; jusqu'à Meirelbeke, jusqu'à Melle, jusque près de Termonde, dont nous apercevons au loin les ruines dans la nuitée qui vient (car nous avons roulé cahin-caha toute la journée), c'est le même anéantissement. (...)»

BIBLIOGRAPHIE

DE RERVA - « Feuillets d'un carnet de campagne 1914-1918 » (1934);

FLEURY-LAMURE - « Charleroi - Notes et impressions » (1916); A. JACQUEMIN - « De Charleroi à Paris par le « premier » train » (décembre 1918);

N. LECOMTE (1885/1984) - Notes manuscrites non publiées ; Ministère des Chemins de fer, Marine, Postes et télégraphes -« Compte-rendu des opérations, 4 août 1914 - 4 août 1917 »; Ministère des Chemins de fer, Marine, Postes et télégraphes -« Compte-rendu des opérations pendant les années 1914 à 1919»;

G. NEVE (1922/2003) - « L'effort de guerre des chemins de fer belges » (2003, tapuscrit non publié);

A. PASQUIER - « Carnets de campagne 1914-1918» (1939).

Mensuel des oeuvres sociales de HR Rail novembre 2014

Paul Pastiels

 

Les stocks abandonnés par les Allemands à Anvers sont récupérés par la population affamée, novembre 1918