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Mise à jour : 08/08/2014 15:03:25

 

Grande et petite histoire de la compagnie du chemin de fer Chimay ( 23-10-08)

HERGENRATH ( 03-07-08 )

Perspectives d’avenir ( 10-12-07 )

LES  MÉTAMORPHOSES  DE  LIÈGE-GUILLEMINS ( 02-10-07 )

 

Grande et petite histoire de la compagnie du chemin de fer Chimay

Sous le titre « Balade chimacienne », Le Rail de mai 2008 présentait à ses lecteurs une double exposition consacrée au bicentenaire de la naissance du XVIIe Prince de Chimay et aux 150 ans de l’arrivée du rail à Chimay. Restait à écrire l’histoire, peu connue, de ce double jubilé : elle commence comme un conte de notre enfance...

Il était une fois, à Chimay, au XIXe siècle, un prince de haute lignée, le Prince Joseph de Riquet de Caraman, qui souhaitait sortir de son isolement la région sur laquelle ses ancêtres avaient régné sous l’Ancien Régime, et partager avec elle les fruits de la première révolution industrielle sur laquelle la toute jeune Belgique allait fonder sa prospérité.

Il offrit ainsi à sa ville quelques aménagements destinés à la faire entrer de plain-pied dans la modernité: elle lui doit notamment son installation de distribution d’eau courante, un abattoir moderne, un premier « hospice » pour personnes âgées, une « usine à gaz » révolutionnaire et son gazomètre, la mise en valeur de la fagne environnante... et aussi la création de l’abbaye cistercienne de Scourmont.

Il se mit aussi en tête d’améliorer radicalement les communications dans cette région jusqu’alors oubliée de la botte du Hainaut. Au milieu du XIXe siècle, Chimay n’était relié au reste du monde que par deux services publics de malle-poste, subsidiés par l’État : des diligences, tirées par deux chevaux, qui transportaient par des routes incertaines voyageurs (six maximum par voyage), petits colis et courrier postal vers Mons et Dinant. Pour le transport public de marchandises, rien n’était prévu : il fallait compter sur soi-même, ou sur la bonne volonté des fermiers locaux et de leur charroi.

Aussi, notre Prince s’associa-t-il avec des amis, le duc de Noailles et le baron Seillière notamment, pour obtenir, par la loi du 28 mai 1856, une concession d’une durée de 90 ans en vue de la construction d’un chemin de fer de Mariembourg à Chimay et à la frontière française. Le projet du Prince ne manquait pas d’ambition : créer un itinéraire de choix pour relier Paris et Cologne, mais aussi contribuer à l’établissement d’activités industrielles nouvelles dans une région où la sidérurgie traditionnelle était moribonde, victime de la substitution du coke au charbon de bois et de la concentration de la métallurgie dans les régions houillères, notamment à Charleroi.

L’octroi de cette concession ferroviaire permit la création de la « SA Compagnie du chemin de fer de Mariembourg à Chimay » par acte du 6 septembre 1856. Le 18 août 1857, elle prit le nom de « Société du Chemin de fer de Chimay » et procéda par la même occasion à l’augmentation de son capital social. Les travaux d’établissement de la voie ferrée projetée allaient pouvoir commencer.

ÉTABLISSEMENT DE LA VOIE FERRÉE

Une stricte économie présida à son établissement : un tracé évitant le fond des vallées et les inévitables ouvrages d’art correspondants. Mais cette option amena un tracé de ligne au profil difficile pour les locomotives de l’époque – tout particulièrement entre Boussu-en-Fagne et Seloignes, où la rampe est quasi continue et plutôt raide (plus de 10 pour mille) et, dans le sens inverse, entre Anor et Momignies. D’autre part, la ligne fut construite à simple voie, quoique les terrains avaient été acquis et les ouvrages d’art exécutés en prévision du placement d’une seconde voie. Le coût kilométrique fut dès lors plutôt bas malgré l’érection du viaduc de Virelles sur l’Eau Blanche. Ce fut le seul ouvrage d’art important de la ligne. Situé à proximité de Chimay, il mesure cent quarante mètres de long et compte huit arches de vingt-sept mètres de haut !

Le premier tronçon de voie ferrée, établi entre Chimay et Mariembourg (16 km) fut ouvert au trafic le 15 octobre 1858, permettant un débouché intéressant vers la région de Charleroi grâce à la ligne du chemin de fer de l’Entre-Sambre-et-Meuse, par Cerfontaine et Walcourt, ouverte de bout en bout dès 1854. Pour mettre l’accent sur le caractère familial du « petit Chimay », comme certains avaient baptisé la compagnie, relevons que, les deux premières années d’exploitation, la traction des trains s’y effectuait au moyen de locomotives de l’Entre-Sambre-et-Meuse, moyennant un droit de location. Par la suite, la compagnie acquit son propre matériel.

À l’ouest de Chimay, le second tronçon, qui s’étendait jusqu’à Momignies et la frontière française (14 km), fut ouvert le 8 novembre 1859. Mais celui-ci se terminait en cul-de-sac, au droit de la frontière, tout comme le « Charleroi – frontière », qui s’arrêtait à la même époque à Erquelinnes. La Compagnie de Chimay avait bien sûr prévu de pénétrer en France, à Anor précisément, avec un débouché futur vers la région de Paris. Mais ce projet fut retardé par la politique maladroite de Napoléon III ainsi que par les réticences d’ordre stratégique dans le chef des Français qui craignaient de faciliter une éventuelle invasion de la Prusse, quoique le gouvernement belge menât une stricte politique de neutralité depuis l’indépendance de 1830.

Après des années de palabres, un décret français de 1866 régla les conditions d’établissement de la section « Momignies-frontière – Anor », qui fut prête à l’exploitation dès le 28 mai 1868. Il n’y eut cependant pas, semble-t-il, de trafic commercial avant septembre 1871, sans doute à cause de la guerre franco-prussienne de 1870.

Les Compagnies du Nord et de Chimay avaient fi ni par s’entendre pour décider qu’il n’y aurait pas de gare commune : chaque compagnie assurait respectivement la gestion des gares française d’Anor et belge de Momignies. Par contre, la traction des trains de voyageurs et de marchandises sur la section française était assurée par les soins de la Compagnie de Chimay. Enfin, les deux administrations avaient convenu de s’efforcer de mettre leurs horaires en concordance.

À cause du retard considérable mis au raccordement avec le réseau français, la Compagnie de Chimay n’eut pas le succès de trafic escompté pendant les premières années de son exploitation. Alors qu’elle avait souhaité participer, dès sa création, à l’exportation de produits finis de l’Entre-Sambre-et-Meuse vers la France, elle en était réduite à effectuer un peu lucratif trafic de marchandises local...

Aussi, il n’est pas impossible que la difficulté de trouver un débouché vers la France par l’ouest ait joué un rôle dans l’expansion de la société vers la vallée de la Meuse : un arrêté royal du 5 décembre 1862 lui accorda en effet la concession d’une voie ferrée entre Mariembourg et Hastière via Doische, pour une durée de nonante ans. Cette nouvelle section offrait d’intéressantes perspectives : jonction avec le Chemin de Fer de l’Est belge « Châtelineau - Florennes – Givet » à Doische, jonction avec le Chemin de Fer du Nord-Belge à Hastière. La section « Mariembourg-Doische » (21 km) fut ouverte au trafic le 30 mars 1864, celle entre Doische et Hastière (11 km), le 5 mars 1866.

Le réseau ferré de la Compagnie du chemin de fer de Chimay était ainsi complet, avec 59,685 km de lignes. La Compagnie avait pris soin d’ériger des bâtiments de gare dans les villages desservis. Ils étaient tous construits sur le même modèle : un édifice compact en briques rouges, à deux niveaux sous bâtière débordante, avec plinthe en pierre, dont le volume était modulable selon le trafic attendu. La plupart de ces constructions sont encore visibles aujourd’hui - quoique réaffectées - à Villers-la-Tour, Lompret, Boussu-en-Fagne, Matagne-la-Grande, Matagne-la-Petite, Romerée ou Agimont-Village. Le bâtiment de gare le plus vaste se trouvait à Chimay : il abritait une salle d’attente, les installations publiques du télégraphe, un buffet et, à l’étage, le logement du chef de gare. Celle-ci disposait encore d’une halle à marchandises, d’un atelier de réparation du matériel roulant et d’une remise aux locomotives, flanquée d’un petit dortoir pour les machinistes et les chauffeurs. Quant au siège de la Compagnie, il se trouvait en ville, où une douzaine d’employés veillaient à la bonne tenue de l’administration.

LES RELATIONS ENTRE LA COMPAGNIE DU NORD ET LA COMPAGNIE DE CHIMAY : TUTELLE OU PARTENARIAT ?

Implantée depuis belle lurette en Belgique, la puissante Compagnie Française du Nord – dite aussi « Nord-Belge » - n’avait jamais pu disposer d’une artère ferroviaire lui appartenant complètement et joignant Liège à la France. La raison en était que le gouvernement belge voulait éviter une mainmise étrangère trop forte sur son réseau ferré. La solution vint de la Compagnie de Chimay elle-même, étranglée financièrement par un trafic ferroviaire local trop peu consistant. Les deux compagnies conclurent un accord en 1875 : la Compagnie de Chimay s’engageait à s’entendre avec le « Nord-Belge » pour régler son exploitation au double point de vue de l’établissement des tarifs et de l’organisation de la marche des trains de voyageurs et de marchandises. Quant au « Nord-Belge », il s’engageait à contribuer au développement de ce trafic et à payer annuellement une subvention fixe à son nouvel « associé ». Tout en gardant une certaine indépendance, la Compagnie de Chimay assurait ainsi sa pérennité. Tutelle ou partenariat... difficile de trancher !

UN PETIT AIR DE « NORD BELGE » À LA COMPAGNIE DE CHIMAY

Au fil du temps, la Compagnie de Chimay s’inspira de la puissante Compagnie du Nord dans des domaines aussi divers que les types de locomotives, l’aspect de la signalisation, la réglementation ou les uniformes de son personnel.

Ainsi, vu leur importance, les gares de Chimay et de Momignies, avaient été dotées d’une signalisation type « Nord » avec signaux à damiers caractéristiques et cabines de signalisation surélevées. À Chimay, la remise à locomotives était flanquée, côté Virelles, non pas d’une plaque tournante, mais du typique triangle de retournement pour les locomotives à vapeur qui devaient en principe circuler cheminée en avant.

Si la Compagnie de Chimay fut toujours propriétaire d’un parc de locomotives à vapeur, celles-ci subissaient leurs révisions dans les ateliers du « Nord Belge » de Saint-Martin, près de Charleroi ; en outre, les prêts de locomotives « Nord Belge » n’étaient pas rares.

LE TRAFIC DES VOYAGEURS ET DES MARCHANDISES

Le trafic des marchandises fut toujours privilégié entre Hastière, Chimay et Anor par rapport au trafic des voyageurs, souvent assuré par des trains mixtes, de pittoresques voitures à voyageurs peintes en vert et qualifiées de « brouett’s dè l’compagnie » ! Chacun des cinq trains journaliers de ce type « Hastière – Anor » (deux bonnes heures de trajet) comportait un fourgon pour les colis postaux où se tenait aussi le garde-convoi. À chaque arrêt, il devait crier le nom de la gare, refermer les portières des voitures, puis passer dans tous les compartiments... par l’extérieur pour poinçonner les billets... Tous les week-ends, en saison, un wagon couvert, rempli jusqu’au toit de paniers de pigeons voyageurs, était accroché en queue de convoi. Il était décroché à Momignies, où les convoyeurs lâchaient les volatiles à l’heure convenue en vue de concours très prisés : l’armée belge était parfois appelée en renfort afin d’ouvrir toutes les cages en même temps ! Les trains de voyageurs convoyaient aussi des wagons à bestiaux destinés à l’abattoir chimacien ou bien des wagons tombereaux chargés du charbon nécessaire au fonctionnement de l’usine à gaz créée par le Prince à Chimay. Une fois décrochés en gare, ces wagons devaient être déchargés au plus vite du combustible pour être renvoyés par le premier train à leur expéditeur : les fermiers des alentours étaient alors mobilisés et se servaient d’un tombereau routier, tiré par... un bœuf, pour parcourir les quelques centaines de mètres séparant la cour à marchandises de Chimay de la rue du gazomètre...

On peut penser que les voyageurs étaient dans la plupart des cas des gens de la région - travailleurs, étudiants ou fermiers – mais ce n’est pas tout à fait vrai : la Compagnie de Chimay se faisait un point d’honneur d’assurer, à Anor, une bonne correspondance avec l’express de Paris. Elle se vantait des six petites heures de trajet nécessaires, au début du XXe siècle, pour parcourir les 269 km séparant Chimay de Paris !

Pour le trafic des marchandises, outre la desserte des cours de gare et des quelques entreprises embranchées à Chimay et à Momignies, la Compagnie de Chimay remorquait les trains que le « Nord-Belge » lui confi ait, notamment des trains de charbon de la Ruhr, un trafic fourni au titre de réparation de guerre par l’Allemagne à la France après 1918. Mais le débit de la ligne de Chimay était limité, vu sa voie unique et les rares possibilités de croisement (Mariembourg, Chimay et Momignies).

En 1882, Chimay accueillit des trains de l’État Belge en provenance de Mons via Lobbes et Beaumont. Il s’agissait d’un trafic local pour les voyageurs et les marchandises.

Entre 1903 et 1904, une ligne vicinale de 43 kilomètres fut créée pour relier Chimay et Couvin par Bourlers, Forges, Rièzes et Cul-des-Sarts, avec correspondance vers la France à Regniowelz. Elle assurait le transport de produits de céramique, de colis ainsi qu’un important trafic de bois. Vaincue par la concurrence routière, cette ligne vicinale fut définitivement fermée au trafic des voyageurs en 1954 et à celui des marchandises en 1960.

LES DEUX GUERRES MONDIALES

Le caractère singulier de la ligne « Hastière-Anor », trait d’union aisé entre l’Allemagne et la France, que le Prince avait entrevu mais n’avait pas pu concrétiser, n’avait pas échappé non plus à l’occupant allemand... En 1914-1918, la ligne fut utilisée par l’armée prussienne pour l’acheminement de troupes et de munitions lors de la bataille de la Somme. Pendant la guerre 1940-1945, elle vit passer le train spécial du maréchal Goering... et même celui d’Adolphe Hitler : on raconte que ce dernier convoi, garé à Boussu-en-Fagne, non loin de la tanière du Führer de Brûly-de-Pesche, aurait transporté ce sinistre personnage à la tout aussi sinistre entrevue de Montoire, où la France du Maréchal Pétain perdit son honneur... Plus prosaïquement, les Nazis se servirent de la ligne pour leurs trains de permissionnaires et de matériel destiné au front de l’Est, mais aussi pour des trains de camionnettes de fabrication Citroën, confisquées en France. Les Alliés – et notamment les Américains - prirent le relais après le débarquement en Normandie de juin 1944 pour ravitailler en matériel, vivres et combustible leurs armées qui progressaient vers l’Allemagne.

LA REPRISE DE LA COMPAGNIE DE CHIMAY

Provisoirement reprise par la SNCB en mai 1940, vu la situation créée par l’occupation, la Compagnie de Chimay reprit son indépendance en mai 1941, mais pour une courte durée.

Le 1 er février 1948, à quelques mois de l’échéance de sa première concession, elle fut l’une des deux dernières compagnies privées belges, avec le Chemin de fer de Malines à Terneuzen, à être reprise par la SNCB. Un point final était ainsi mis à l’œuvre du Prince, qui avait par ailleurs créé les quelque trois cents emplois permanents de cheminots nécessaires... En un tournemain, le personnel repris changea d’uniforme... et l’ambiance familiale créée depuis des décennies disparut. Quant aux locomotives à vapeur, à une exception près, elles furent vouées au chalumeau, comme le matériel remorqué d’ailleurs. Seuls les deux autorails diesel de la marque Ganz, mis à sa disposition par le « Nord Belge » peu avant la guerre de 1940-45, furent repris par la SNCB.

La SNCB supprima le trafic des voyageurs sur la ligne entre 1953 et 1964. Le dernier train de marchandises circula, lui, en 1989. Quant aux rails, enfouis sous la végétation, ils disparaîtront entre Mariembourg, Chimay et Macon à la fi n de cette année, en vue de la création d’un RAVeL. Seule la courte section « Macon – Momignies – Anor » de la Compagnie de Chimay sera épargnée car elle est utilisée pour le transport des pierres des carrières de Wallers : c’est le dernier vestige du rêve princier de faire profiter sa région de la modernité...

Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB septembre 2008

Le point d’arrêt de Virelles en 1975

Chimay, la gare côté voies en 2008

La gare de Momignies en 1975

Chimay, place de la Gare

 

 

HERGENRATH

Du nouveau à l’est de la Belgique...un second point d’arrêt en Deutschsprachige Gemeinschaft.

Le vendredi 18 avril dernier, en fin de matinée, l’automotrice n° 161 de la SNCB, spécialement affrétée pour l’occasion au départ de Welkenraedt, marquait l’arrêt à Hergenrath. Ses invités, des personnalités du monde politique et ferroviaire, inauguraient symboliquement un nouveau point d’arrêt, créé à quelques centaines de mètres de la frontière allemande, au bout du tracé belge de la ligne 37 Liège-Aix-la-Chapelle. «Recréé» devrions-nous écrire, car les trains de voyageurs avaient desservi ce village frontalier dès la fin du XIXe siècle, sept décennies durant, grâce à des installations de gare assez singulières, marquées aussi par le fait qu’elles changèrent trois fois de nationalité en vingt-cinq ans.

Au temps ou Hergenrath était Prussien

Le village d’Hergenrath, dont l’existence est attestée pour la première fois en 1280, est partie intégrante du canton d’Eupen, qui fut attribué à la Prusse au Congrès de Vienne de 1815, après la déroute des armées de Napoléon à Waterloo.

C’est donc sous régime prussien que le village fut traversé par la ligne de chemin de fer Liège-Aix-la-Chapelle, inaugurée de bout en bout en 1843. Mais les trains ne s’y arrêtèrent que le 1er août 1884, quand une gare y fut ouverte à quelque sept cents mètres au nord du Hammerbrücke, ce viaduc de 285 mètres de long, lancé au-dessus de la vallée de la Gueule et dont l’aspect originel faisait penser à un aqueduc romain.

La gare d’Hergenrath, gérée par la compagnie de chemin de fer de l’époque, la « Königlich Preussische Staatsbahn », fut progressivement dotée d’un équipement assez complet, même si le bâtiment de gare resta de facture modeste. C’était un édifice de plan classique prussien – avec quatre travées – dessiné sur le modèle existant à Raeren et Rötgen, sur la Vennbahn voisine(1). Il était conçu pour abriter non seulement les services du chemin de fer, mais aussi les installations publiques de télégraphe et de téléphone: tout comme le chemin de fer, cette technologie naissante faisait partie, dans la mentalité de l’époque, des nouveaux moyens de communication.

Pour le trafic des voyageurs, outre les deux voies principales, on trouvait une voie de dépassement et de garage. Mais les quais définitifs, posés en 1896 en décalage d’une centaine de mètres par rapport à l’axe du bâtiment des voyageurs, étaient manifestement surdimensionnés par rapport à une population locale qui ne dépassait pas à l’époque un millier d’habitants. Cet équipement luxueux trahissait en fait la vocation militaire de l’endroit: il fallait pouvoir y décharger des troupes à l’époque où le IIe Reich de l’empereur Friedrich-Wilhelm II nourrissait des ambitions belliqueuses en Europe, qui finirent par se concrétiser en 1914 avec l’invasion de la Belgique notamment.

Pour le trafic des marchandises, les installations étaient assez étoffées, compte tenu des entreprises implantées à Hergenrath, pour qui le chemin de fer était le seul moyen rapide et fable pour écouler leurs produits à une époque où le réseau routier était dans un état déplorable, et où le seul moyen de locomotion était le chariot tiré par des bœufs.

La gare assurait aussi le trafic des colis postaux, alimenté notamment par un singulier petit atelier dont l’activité consistait à «pointer les dés à coudre». Pour gérer tout cet ensemble, deux cabines de signalisation surélevées, baptisées à l’allemande «Hst» et «Hnt», avaient été construites.

Hergenrath et le rattachement des « cantons de l’Est » à la Belgique

À la suite de la défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale, la Belgique obtint l’annexion des «kreis» d’Eupen et de Malmédy par les dispositions du Traité de Versailles de 1919.

Sur la ligne Liège -Aix-la-Chapelle, la frontière d’État fut reculée de quelque dix kilomètres vers l’est: la gare et les habitants d’Hergenrath changèrent ainsi une première fois de nationalité.

La gare d’Hergenrath fut dès lors gérée par les chemins de fer de l’État belge, puis par la SNCB dès sa création en 1926, tout en gardant ses particularités d’exploitation allemandes jusqu’à son électrification en 1966.

Dans cette région frontalière, la douane allemande, chassée d’Herbesthal, s’installa à Aachen Hauptbahnhof, tandis que son homologue belge prit ses quartiers en gare d’Herbesthal, désignée désormais comme gare d’arrêt des trains internationaux et terminus pour le trafic intérieur venant de Bruxelles et de Liège: il est vrai que ses vastes installations de remisage de rames et sa remise à locomotives en forme de rotonde s’y prêtaient tout particulièrement.

Néanmoins, la SNCB continua à mettre en ligne une petite dizaine de trains omnibus internationaux de proximité entre Herbesthal et Aachen Hbf, pour les besoins de la clientèle locale, avec arrêts à Astenet et Hergenrath. L’aménagement d’un poste de douane belge, sur le premier quai de la gare d’Hergenrath, fut bien sûr jugé nécessaire, vu la présence de la frontière toute proche sur cette courte relation. Les trains omnibus Aix-la-Chapelle – Herbesthal marquaient d’ailleurs un arrêt de 10 minutes à Hergenrath pour permettre leur visite par les douaniers.

La Seconde Guerre mondiale imposa un deuxième changement de nationalité à la gare d’Hergenrath et aux habitants de la région: les ordonnances d’Adolf Hitler du 18 mai 1940 avaient réannexé les Cantons de l’Est au IIIe Reich. La gare fut alors exploitée par la «Deutsche Reichsbahn» et son personnel sommé de choisir entre le serment prêté à Adolf Hitler ou la perte de son emploi...

La fin du conflit provoqua un troisième et dernier changement de nationalité de la gare... et le retour des uniformes de la SNCB.

Pendant l’immédiat après-guerre, outre les trains militaires des armées alliées d’occupation, de rares trains internationaux Bruxelles-Cologne accessibles au public franchirent à nouveau la frontière belgo-allemande. Par contre, la SNCB limita définitivement à Hergenrath le service local des voyageurs en provenance d’Herbesthal. La desserte fut confiée aux petits autorails diesel « Brossel» type 551, qui offraient l’avantage de ne pas nécessiter de manœuvre de remise en tête en gare d’Hergenrath. Néanmoins, la hauteur des quais existants d’Hergenrath, hérités du régime prussien et incompatibles avec ces autorails, obligea la SNCB à aménager un court quai bas en cendrées bordant les voies jusqu’alors réservées au trafic des marchandises.

Cette modeste desserte des voyageurs ne résista pas à la vague de suppression du trafic omnibus par trains sur les lignes rurales belges: les autorails furent remplacés par des autobus le 2 juin 1957 entre Herbesthal et Hergenrath, tout comme d’ailleurs sur toutes les lignes du pays de Herve voisin.

L’avenir de la desserte des installations marchandises d’Hergenrath se posa à la même époque: les entreprises, dont le développement avait justifié la création de la gare à la fin du XIXe siècle, fermaient leurs portes ou confiaient progressivement leur trafic à la route. La SNCB simplifia les installations entre 1956 et 1961, même si un train de marchandises journalier de cabotage, originaire d’Herbesthal, continua à desservir la cour à marchandises d’Hergenrath jusqu’à sa fermeture en 1968: il était tiré par une locomotive à vapeur type 98 de la remise d’Herbesthal, puis par une locomotive diesel série 84.

À l’époque, la ligne Liège-Aix-la-Chapelle était en cours de modernisation et d’électrification. Dans ce cadre, les deux cabines de signalisation d’Hergenrath furent fermées et remplacées par le block automatique. Une fois le bâtiment de gare démoli en 1976, il ne resta plus que les deux voies principales à Hergenrath, parcourues par les trains électriques directs Bruxelles-Cologne.

Renaissance du point d’arrêt d’Hergenrath

En ce début du XXIe siècle, les besoins de mobilité d’Hergenrath, localité faisant aujourd’hui partie de la commune de Kelmis (La Calamine) ont bien changé. Entre 1981 et 2003, la population de la région de Lontzen, Raeren, Plombières et Kelmis est passée de 29 000 à 34 500 personnes, dont un tiers d’origine étrangère, essentiellement des Allemands attirés par les conditions d’accès à la propriété en Belgique. Plusieurs riverains de la ligne de chemin de fer se déplacent quotidiennement en Allemagne, dans le cadre de leur travail ou de leurs études, notamment à Aix-la-Chapelle, distante de moins de 10 km de la frontière. L’offre ferroviaire concernant cette liaison était devenue quasiment inexistante, à moins de se déplacer par ses propres moyens jusqu’à la gare de Welkenraedt... un véritable non sens.

C’est fin 2002 que l’idée germa de recréer un point d’arrêt à Hergenrath. Au 15 décembre de cette année-là, la SNCB et la DB AG réorganisèrent les relations internationales entre la Belgique et l’Allemagne à la suite, notamment, de la mise en service de la ligne à grande vitesse Louvain –Ans. Les relations entre Bruxelles et Cologne sont désormais assurées conjointement par les TGV Thalys «BPKA» et des rames ICE 3 prolongées jusqu’à Francfort-sur-le-Main. Les relations «de proximité» entre Liège et Aix-la-Chapelle sont reprises par un nouveau service cadencé toutes les deux heures – avec renfort aux heures de pointe – baptisé «IR q» en Belgique et «Euregio Aixpress» en Allemagne; il est assuré actuellement par des automotrices doubles classiques du parc SNCB, avec des arrêts à Angleur, Pepinster, Verviers-Central et Welkenraedt.

Ce dernier service était tout désigné pour desservir Hergenrath, à condition d’y reconstruire une infrastructure adaptée.

Les nouvelles installations

L’infrastructure de la section de ligne Hammerbrücke –frontière germano-belge, longue de 1800 mètres, a fait l’objet d’une rénovation en profondeur à la fin des années 1990, en prolongement de la future ligne à grande vitesse n°3 Chênée-Hammerbrücke: renouvellement du viaduc, suppression de deux passages à niveau, construction d’une sous-station de traction, rénovation des voies. Sur le territoire allemand, entre la frontière et Aix-la-Chapelle, les travaux de mise à niveau sont toujours en cours: le saut-de-mouton permettant le changement de sens de circulation à Bildchen a disparu, tandis que le Bushtunnel vient d’être dédoublé par un nouvel ouvrage d’art.

Restait à ériger un nouveau point d’arrêt non gardé à Hergenrath. Infrabel et sa filiale TUC Rail ont fait procéder à partir d’octobre 2007 à la pose de deux quais de 130 mètres de long et de 55 cm de hauteur en moyenne le long des deux voies principales, sur le site des anciennes installations ferroviaires. Deux parkings, de 21 et 27 places, financés par la SNCB-Holding, ont également été aménagés de chaque côté des voies. Les deux quais comportent chacun un abri et trois sièges extérieurs, un équipement sonore permettant les annonces aux voyageurs, ainsi que l’éclairage de l’infrastructure. Enfin, des dalles de vigilance et de guidage ont été installées pour les personnes malvoyantes tandis que deux rampes ont été aménagées sur chaque quai afin de permettre à tous - y compris aux personnes à mobilité réduite ou aux voyageurs chargés de bagages - d’y accéder facilement.

D’après les études qui ont été menées, la SNCB espère attirer, en semaine, quelque 170 voyageurs journaliers à Hergenrath : 130 travailleurs et 40 étudiants, même si aucune connexion avec le réseau d’autobus du TEC n’est actuellement fonctionnelle. Un quart d’entre eux prendrait le train pour Welkenraedt, les trois autres quarts pour Aix-la-Chapelle; pour ces nouveaux voyageurs transfrontaliers, le train constituera un gain de temps précieux: Aix-la-Chapelle n’est plus qu’à dix minutes d’Hergenrath. Une tarification germano-belge adaptée a été instaurée à cette occasion, aussi bien pour les billets que pour les abonnements; elle donne aussi droit au libre parcours sur le réseau urbain des autobus d’Aix-la-Chapelle.

Quoiqu’un seul quai était opérationnel à l’époque, le point d’arrêt d’Hergenrath a déjà été ouvert au trafic au changement d’horaires du 9 décembre 2007. Onze paires de trains de voyageurs le desservent désormais en semaine, pour huit le week-end. Une «avant-première», en quelque sorte, prélude à l’inauguration du 18 avril dernier: elle dote la «Deutschsprachige Gemeinschaft» (Communauté de langue allemande) de Belgique d’un second point d’arrêt ferroviaire. Rouverte au trafic des voyageurs en 1984, dans le cadre de la création du plan «IC-IR», la gare d’Eupen, sa capitale, est déjà reliée, toutes les heures, à la capitale fédérale... et au Littoral par les trains de la relation IC A Eupen - Ostende.

(1)La «Vennbahn» est la ligne n°48, qui reliait jadis Aix-la-Chapelle à Troisvierges ou Gerolstein, en passant par Raeren, Montjoie, Wévercé, Waimes et Saint-Vith.
 

 

Auteur : Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB juillet 2008

IR vers Aachen

IR vers Liège

Vue des quais

 

 

Perspectives d’avenir

De futures relations ferroviaires rapides entre Bruxelles, son aéroport national, Anvers et les Pays-Bas

C’était au siècle dernier... en 1990 exactement. Le gouvernement fédéral prenait la décision de doter la Belgique d’un réseau de lignes de chemin de fer à grande vitesse, connectées aux frontières française, néerlandaise et allemande - aux futures lignes que projetaient nos voisins et partenaires de l’Union Européenne: Bruxelles serait le nœud d’un réseau d’une longueur totale de 314 kilomètres, dont 200 de lignes à grande vitesse proprement dites (300 km/h) et 114 de lignes classiques réa ménagées.

Sept ans plus tard, le 14 décembre 1997, les 71 premiers kilomètres de ligne à grande vitesse étaient inaugurés entre la frontière française (Wannehain) et Hal; avec le réaménagement et la mise à quatre voies du tronçon Hal – Bruxelles-Midi, Paris n’était plus qu’à une grosse heure et quart de la capitale de l’Europe. Cinq ans plus tard, le 10 décembre 2002, un nouveau tronçon de ligne était inauguré entre

Louvain et Ans: c’était le premier jalon de la branche «est» de la ligne à grande vitesse vers l’Allemagne.

En cette fin d’année 2007, le programme arrive progressivement à son terme. Bientôt, les branches «est» et «nord» seront terminées: l’occasion de parcourir le panorama des travaux qui s’achèvent et d’évoquer les perspectives d’exploitation des nouvelles infrastructures.

Penchons-nous d’abord sur la branche «nord» dans un premier article, en accomplissant un voyage imaginaire sur la future artère ferroviaire qui joindra Bruxelles-Nord à la frontière néerlandaise près de Breda. Notre voyage s’interrompra trois fois, à Bruxelles-National-Aéroport/ Brussel-Nationaal-Luchthaven, Anvers-Central, et quelque part entre Anvers et la frontière belgo-néerlandaise, au futur point d’arrêt de Noorderkempen.

« Bruxelles-nord – Anvers-central » par la ligne historique ou par Bruxelles-national-aéroport

Entre Bruxelles-Nord et Anvers, l’itinéraire ferroviaire qui vient immédiatement à l’esprit est la ligne 25, une des plus fréquentées du pays, mais aussi... une des plus chargées d’histoire: la section «Bruxelles – Malines» fut la première ligne ferrée construite en Belgique au XIXe siècle et la première du réseau de la SNCB à bénéficier d’une électrification en 3 000 Volts courant continu un siècle plus tard, en 1935 exactement.

Comme il s’avérait impossible sinon très compliqué de créer une ligne nouvelle entre ces deux villes à l’urbanisation géographiquement étendue, les décideurs politiques de 1990 ont convenu de rééquiper la ligne «historique» et de la moderniser partout où c’était possible, afin d’y faire circuler à la fois TGV et trains classiques.

Ce choix de l’adaptation de la ligne 25 offrait ainsi l’avantage de rentabiliser au maximum les investissements consentis et d’en faire bénéficier tous les usagers, voyageurs des trains à grande vitesse ou navetteurs des trains du service intérieur. Ces travaux de modernisation, dont l’objectif principal consistait à porter la vitesse de référence de la ligne 25 à 160 km/h, sont pratiquement terminés aujourd’hui.

Le Diabolo et la ligne 25 N «Schaerbeek – Malines»

Un autre projet – greffé sur la modernisation de la ligne 25 - s’est imposé par la suite: permettre aux trains à grande vitesse, qu’ils viennent de Paris, d’Amsterdam ou de Cologne, de desservir l’aéroport de Bruxelles, comme nos voisins les Français le pratiquent à Roissy, les Néerlandais à Schiphol ou les Allemands à Frankfurt am Main. Ce défi en valait vraiment la peine.

Mais savez-vous que l’aéroport de Bruxelles a été le premier à être relié à sa métropole par une ligne de chemin de fer spécialisée: la ligne 36C, aménagée au départ de l’aéroport en antenne de la ligne 36 «Bruxelles – Liège»(1) ? Dès 1955, des autorails faisaient déjà la navette entre «Melsbroek» - comme on dénommait l’aéroport à l’époque – et la toute récente gare centrale de Bruxelles, où une voie en impasse, récemment supprimée, avait été aménagée pour recevoir ce nouveau trafic. L’initiative eut du succès: en 1971, la courte ligne était électrifiée tandis que six automotrices électriques doubles du parc (2), décorées d’une livrée bleu «Sabena», y circulaient.

L’importance de cette liaison ne s’est jamais démentie: dès 1998, un nouveau trajet terminal souterrain, jusqu’aux installations de l’aéroport, était mis en service, avec une nouvelle gare, dotée de trois voies à quai. La SNCB élargit immédiatement son offre, en y amenant des trains venant non seulement de Bruxelles, mais aussi de différentes villes de province, comme La Panne, Gand ou Mons. Fin 2005, une troisième étape, confiée à Infrabel, a permis un accès direct à Zaventem aux trains provenant du Brabant Flamand et du Limbourg: c’est la «courbe de Nossegem», qui donne à la gare de Bruxelles National-Aéroport de nouvelles perspectives de trafic.

Mais les actuelles installations ferroviaires de Bruxelles-National Aéroport souffrent d’un handicap: elles sont en impasse alors qu’elles se trouvent, à vol d’oiseau, à cinq bons kilomètres de la ligne Bruxelles- Anvers. Le projet «Diabolo» - ainsi dénommé car son implantation sur le terrain évoque le jouet éponyme – va permettre de s’affranchir de cet inconvénient. Il offrira aux trains à grande vitesse ou classiques venant d’Allemagne, de Liège ou du Limbourg, de poursuivre leur route en direction de Bruxelles, sans rebroussement. Ces trains pourraient déjà actuellement disposer d’un accès direct à Bruxelles- National-Aéroport via la courbe de Nossegem.

De même, les trains en provenance d’Anvers et des Pays-Bas pourront rejoindre Bruxelles directement, via le Diabolo et Bruxelles-National-Aéroport.

Ce projet a bénéficié le 28 septembre dernier d’un coup d’accélérateur décisif, avec l’établissement d’un partenariat original «public privé» pour sa réalisation: grâce à la Northern Diabolo NV, une société créée spécialement à cet effet, un consortium d’investisseurs privés prend la responsabilité du financement et de la construction de la liaison ferroviaire souterraine entre la gare de Bruxelles-National-Aéroport et une nouvelle ligne ferrée à poser entre Schaerbeek et Malines sur le vaste terre-plein de l’autoroute E19. L’accord prévoit le lancement des travaux de construction du Diabolo avant la fin de l’année 2007. Il est convenu que les partenaires privés supporteront les risques de construction ainsi que ceux liés à la demande. La Northern Diabolo NV mettra l’infrastructure,

une fois construite, à la disposition d’Infrabel pendant 35 ans, au delà desquels elle lui en cèdera la propriété. Pendant cette période de 35 ans, la Northern Diabolo NV disposera de différentes sources de revenus qui lui permettront de couvrir ses frais: un supplément à charge des voyageurs pour chaque trajet à destination ou au départ de la gare de Bruxelles-National-Aéroport(3), une contribution annuelle d’Infrabel et une autre des opérateurs ferroviaires.

L’aménagement du Diabolo

Concrètement, les travaux de voies de la partie nord du Diabolo comprennent l’allongement de l’actuelle gare souterraine de l’aéroport, la réalisation d’un tunnel souterrain à deux pertuis, long de 1 070 mètres sous la zone industrielle « Brucargo», les bifurcations souterraines vers l’autoroute E19 (embranchement passant sous l’échangeur autoroutier à Machelen), ainsi que les rampes d’accès à la berme centrale de l’E19 pour le raccordement à la future ligne Schaerbeek – Malines.

De son côté, Infrabel procèdera à la construction de cette nouvelle ligne de chemin de fer à double voie entre Schaerbeek et Malines - la future ligne 25 N – qui sera astucieusement implantée sur la berme centrale inutilisée de l’autoroute E 19: une bande de 50 mètres de large sur 25 km de long, aménagée dans les années 1970 entre le ring de Bruxelles et Kontich, en vue de la création d’une autoroute «express» dont la réalisation a finalement été abandonnée.(4)

À l’entrée de Malines, la future ligne 25 N sera reliée aux voies existantes des lignes 25 et 27 par un système d’échangeur ferroviaire.

Les travaux pour la réalisation du Diabolo devraient être lancés fin de cette année: la construction de la nouvelle ligne 25N a déjà débuté en juillet avec l’aménagement de la future plate-forme ferroviaire de la berme centrale de l’autoroute. Le planning prévoit la fin des travaux de génie civil du Diabolo et de la ligne 25 N fin 2010, tandis que la pose des voies, des caténaires et de la signalisation serait réalisée en 2011. Après leur homologation, le Diabolo complet et la nouvelle ligne ferroviaire Schaerbeek - Malines seront ouverts à l’exploitation en juin 2012.

À cette échéance, pour aller de Bruxelles à Anvers ou aux Pays-Bas par train classique ou à grande vitesse, deux itinéraires seront possibles, l’un par la ligne historique, l’autre par le Diabolo et la gare de Bruxelles-National-Aéroport, où l’intermodalité ne sera plus un vain mot.

Anvers et sa jonction « nord-sud »

À Anvers, le projet «grande vitesse» a été conjugué avec un remodelage complet du nœud ferroviaire, intégrant Anvers-Central... Il paraissait en effet impensable que les TGV ne desservent pas le centre de la ville.

Le défi à relever était donc à la fois ferroviaire et architectural: il fallait profiter de la situation idéale d’Anvers-Central, tout en supprimant son handicap de gare en impasse, et imaginer une solution esthétique qui ne déparerait pas la beauté des lieux. À chacun d’apprécier sur place comment, dans le respect de l’architecture existante, on a fait cohabiter l’ancien et le nouveau. Il a fallu une dizaine d’années de travaux qui ont donné des sueurs froides aux responsables de l’exploitation d’une gare qui devait rester accessible à tout moment pour les voyageurs... alors que les trains ne pouvaient plus être reçus que sur... trois voies à quai.

Depuis le 26 mars dernier, Anvers-Central est métamorphosée: jadis dotée d’un unique plateau de dix voies en impasse, elle se déploie désormais sur quatre niveaux: le niveau + 1, avec six voies en impasse, le niveau 0, dédié à une galerie commerciale, le niveau -1, bientôt doté de quatre voies en impasse (les voies de 11 à 14) et le niveau -2,

au fond d’un astucieux puits de lumière, équipé de quatre voies passantes (de 21 à 24). Ces dernières voies font partie intégrante d’une toute nouvelle jonction ferroviaire souterraine «Nord-Sud», longue de 3,8 km, reliant les gares d’Anvers-Dam et d’Anvers-Berchem. La jonction comprend au nord un tunnel sous la ville, doté de toutes les installations de sécurité et de protection contre l’incendie.

À double pertuis et long de 1,2 km, il a été foré à 18 mètres sous terre, à l’aide de tunneliers; il relie les Damplein et Astridplein. Cette dernière place a été complètement remodelée pour la circonstance: traitée en agréable piétonnier en surface, elle dissimule quatre niveaux en souterrain: le niveau -1 réservé aux échanges entre le train et le prémétro avec parking pour un millier de vélos; les niveaux -2 et -3 sont réservés à un parking de 400 places, le niveau -4 étant celui du tunnel ferroviaire. Au sud de la gare d’Anvers-Central, un autre tunnel équipé de quatre voies parallèles, débouche sur les installations de la gare d’Anvers-Berchem.

La capacité de réception des trains en gare sera ainsi doublée: le groupe SNCB espère accueillir cent mille voyageurs par jour à Anvers-Central, qui sera par ailleurs dotée d’un deuxième accès pour les voyageurs, flanqué d’un parking de 600 places, à hauteur de Lange Kievitstraat.

Commencés en mai 1998, les gigantesques travaux de modernisation et de rééquipement d’Anvers-Central devraient être achevés pour la mi-2009: le hall de la gare sera alors dallé de marbre, tandis que la coupole et les façades extérieures seront restaurées.

Anvers-frontière Néerlandaise : une « vraie » ligne à grande vitesse

Reprenons notre voyage fictif sur l’axe Bruxelles – frontière Néerlandaise, non sans souligner que la jonction «Nord-Sud» est déjà accessible à tous les types de trains de voyageurs desservant Anvers: un gain de temps d’un bon quart d’heure pour le trafic en provenance du nord de la ville portuaire, qui évite le détour par la gare d’Anvers-Est et le rebroussement à Anvers-Central.

Au débouché du tunnel de jonction, à hauteur de Damplein, la jonction «Nord-Sud» rejoint la ligne de chemin de fer 12 actuelle «An vers-Central – Essen – frontière néerlandaise». Les autorités locales ont profité de l’occasion pour procéder au réaménagement complet du site avec un parc paysager de dix-huit hectares affecté au délassement et au sport, et une zone commerciale de six hectares: c’est le projet «Spoor Noord», qui devrait être finalisé fin 2008.

Après la traversée de la gare d’Anvers-Luchtbal, complètement réa ménagée avec six voies à quai de 350 mètres de long et un grand parking, afin de devenir un centre multimodal de transport, la future ligne à grande vitesse n°4 se détache de la ligne 12. Elle rejoint l’autoroute E 19, afin de la longer sur son flanc ouest jusqu’à la frontière, sur une longueur de 35,2 km. Ce tracé par Merksem-Ekeren, Schoten, Brasschaat, Brecht, Wuustwezel et Hoogstraten, a été préféré pour des raisons d’aménagement du territoire – par nos voisins néerlandais à celui proposé à l’origine par les autorités belges qui avaient imaginé un itinéraire plus court, le long des installations portuaires.

Électrifiée à la tension de 25 kV 50 Hz, débitée par la sous-station d’Ekeren, la ligne nouvelle n°4 est dotée de toutes les caractéristiques techniques pour la grande vitesse (300 km/h). Elle est équipée d’au moins un ouvrage d’art singulier: un pertuis ajouré coiffé d’une toiture, long de 3,2 km, le long du Peerdbos, qui offre aux trains une protection contre les chutes d’arbres, mais fait aussi office d’écran antibruit pour le trafic ferroviaire et routier le long d’un site de promenades très apprécié.

Cette ligne aura aussi la particularité d’être parcourue non seule ment par les TGV à la vitesse de 300 km/h, mais aussi par des trains rapides du service intérieur (200 km/h), pour lesquels un nouveau

point d’arrêt pouvant faire office de terminus – a été aménagé... à Brecht grâce à deux voies d’évitement posées de part et d’autre des voies principales. Le but de cette installation est de désenclaver par voie ferroviaire une partie du nord de la Campine, jusqu’à présent uniquement desservie par des autobus en direction d’Anvers.

La SNCB va donc organiser un service pendulaire entre Anvers-Central et ce nouveau point d’arrêt, baptisé « Noorderkempen»: le trajet devrait durer un quart d’heure... : une révolution pour les dizaines de milliers d’habitants de la région, drainés vers le nouveau point d’arrêt par des services d’autobus «De Lijn» judicieusement repensés, à moins qu’ils n’utilisent le vaste parking en cours d’aménagement. Les trains à grande vitesse, eux, ne devaient pas s’arrêter à «Noor derkempen», mais filer vers la frontière belgo-néerlandaise, qu’ils franchiront à Meer. Au-delà de celle-ci, nos voisins néerlandais ont construit, eux aussi, une ligne à grande vitesse jusqu’à Amsterdam.

De caractéristiques techniques semblables, la conception de la HSL Zuid(5) néerlandaise se rapproche assez bien du compromis belge: une ligne en site propre, permettant la pratique des 300 km/h, est aménagée partout où c’est possible; dans les grandes agglomérations comme Amsterdam ou Rotterdam, où tous les terrains sont fortement urbanisés, les TGV et autres trains rapides circuleront sur l’infrastructure ferroviaire existante, sur des voies si possible réservées. Nos voisins ont prévu, eux aussi, d’utiliser intensivement cette nouvelle ligne, aussi bien pour le trafic international, que pour leur trafic intérieur accéléré.

En conclusion

Les gigantesques travaux de génie civil que nous venons de décrire dans une de ces régions d’Europe où la densité de population est la plus forte permettront assurément une bien meilleure mobilité pour tous. D’ici peu, les relations internationales par chemin de fer entre la Belgique et les Pays-Bas seront métamorphosées: outre le service Thalys qui couvrira l’étape Bruxelles-Midi – Amsterdam CS en 1h46, un tout nouveau service de trains, cadencé et accéléré, sera mis en ligne, avec un matériel innovant. Bruxelles-National-Aéroport jouera enfin son rôle de plaque tournante, tant pour le trafic aérien que pour le trafic ferroviaire international à grande vitesse. Quant aux relations intérieures, tant en Belgique qu’aux Pays-Bas, elles n’auront pas été oubliées dans ce vaste projet...

( 1 ) Pour la petite histoire, ce raccordement avait en fait été créé par l’occupant nazi en 1943

( 2 )Aujourd'hui réintégrées dans le roulement des automotrices électriques beiges, elles portent les n°595 à 600, mais gardent la trace de leur affectation primitive: compartiment fourgon agrandi et compartiments pour voyageurs adaptés.

( 3 ) Cette taxe ne sera toutefois pas d'application pour les déplacements domicile-travail.

( 4 ) Certains lecteurs se souviendront assurément que cette realisation autoroutière abandonnée a fait l'objet, à une certaine époque, d'un reportage de la RTBF à l'humour grincant, dans le cadre d'une série télévisée estivale consacrée aux Grands Travaux Inutiles (GTI)...

( 5 ) Hoge Snelheid Lijn Zuid = ligne a haute vitesse sud.

Anvers-Central Niveau -2

Nouvelle gare d'Anvers-Luchtbal Anvers Astridplein

Anvers: jonction ferroviaire souterraine N5

 

 

Auteur : Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB décembre2007

 

 

 

LES MÉTAMORPHOSES DE LIÈGE-GUILLEMINS

 

Le lundi 4 juin dernier, un événement a modifié le quotidien de nombreux Liégeois, et notamment des cheminots: le bâtiment de la gare de Liège-Guillemins a été désaffecté au profit d’installations provisoires. Situées quelque trois-cent-cinquante mètres plus loin côté Meuse, elles permettent l’accès à une partie de la nouvelle construction issue de l’imagination de l’architecte catalan, Santiago Calatrava. Saisissons cette occasion pour évoquer les quatre bâtiments à voyageurs successifs dont Liège-Guillemins a été dotée en moins de deux siècles, autant de témoins de l’évolution du rôle joué par le rail dans la Cité Ardente.

LIÈGE-GUILLEMINS, VOUS AVEZ DIT «LIÈGE-GUILLEMINS»?

«Liège-Guillemins», un patronyme bien singulier... Alors que dans d’autres grandes villes belges, les différentes gares sont distinguées par un point cardinal (comme Bruxelles-Nord... ou Midi), Liège-Guillemins porte en fait le nom du quartier dans lequel la gare a été érigée, à l’instar de Paris-Montparnasse, Lyon-Part-Dieu, Toulouse-Matabiau ou Genève-Cornavin.

De fait, la gare de Liège a été construite, en 1842 précisément, au lieu-dit «clos des Guillemins». Si, à l’époque, cet endroit assez marécageux, situé au pied de la colline de Cointe, était voué à la culture maraîchère, il avait jadis appartenu à l’ordre des «Guillelmites», des disciples de Saint-Guillaume, un gentilhomme français du XIIe siècle devenu ermite. Ces religieux s’étaient installés, dès le XIIIe siècle, dans l’ancien château d’Avroy et avaient acquis les terrains de la future gare. Comme bien d’autres, cette congrégation fut supprimée à la Révolution française et ses biens mis sous séquestre... mais le souvenir de sa présence avait été perpétué dans la toponymie...

Anciens quais de Liège-Guillemin

LIÈGE-GUILLEMINS ET LA PREMIÈRE LIGNE DE CHEMIN DE FER TRANS-EUROPÉENNE

Faut-il le rappeler? La construction des premières lignes de chemin de fer en Belgique répond avant tout à des préoccupations économiques: le transport rapide de marchandises, surtout pondéreuses, dans des régions non accessibles par la voie d’eau. C’est dans cette perspective que le liégeois d’adoption Charles Rogier déposa en 1833 au jeune parlement belge le projet de loi de création d’un réseau de chemin de fer en Belgique, financé par l’État.

Avec comme point central Malines, ce tout nouveau mode de transport, inventé en Angleterre, avait d’abord pour but de désenclaver le port d’Anvers (dont la prospérité était menacée par les Pays-Bas, encore en guerre à l’époque avec la Belgique): il comprenait notamment la construction d’une ligne dite «de l’Est» qui devait rejoindre le Rhin (Cologne) et les industries de la Ruhr -clientes du port d’Anvers -à travers la Prusse. Ce sera la future ligne Malines - Louvain -Tirlemont -Waremme -Liège -Verviers -Aix-la-Chapelle, qui constitue un premier chaînon de chemin de fer transeuropéen de l’histoire. En exécution de ce plan, les premiers trains originaires du centre du pays arrivèrent à Ans le 2 avril 1838, où la gare fut baptisée «Liège-Supérieur». Pendant quatre ans, ils y firent terminus, le temps de trouver le moyen de racheter une différence de niveau de cent-dix mètres en moins de cinq kilomètres pour atteindre la ville de Liège, en fond de vallée de la Meuse. Ce n’était pas une mince affaire: les locomotives de l’époque n’avaient pas assez d’adhérence et de puissance pour s’en affranchir. En attendant, une liaison par diligences (appelées «omnibus du pavé») fut assurée entre la rue Hors-Château à Liège, où se trouvaient les écuries du concessionnaire, jusqu’à Ans (gare). Il fallait compter environ deux heures de trajet...

On doit la solution au problème de la dénivellation au jeune ingénieur Henri Maus: la ligne de chemin de fer Ans -Liège-Guillemins serait partagée en deux plans inclinés, où les trains seraient tirés par un câble, à la manière d’un funiculaire, à l’aide de machines fixes à vapeur, de fabrication Cockerill, installées en gare de Liège-Haut-Pré. Grâce à ce système, les trains finirent par atteindre Liège-Guillemins dès le 1er mai 1842. Le système fonctionna jusqu’au début des années 1870, lorsque la puissance des locomotives à vapeur de l’époque et les améliorations au système de freinage permirent d’abandonner le système, à condition que les trains soient systématiquement poussés de Liège à Montegnée.

La gare de Liège-Guillemins, comme on la nomma après l’érection de la deuxième gare de Liège au lieu-dit Longdoz, fut dotée d’un modeste bâtiment en bois, sans style, type «bâtisse industrielle». En fait, le chemin de fer en était encore à ses premiers balbutiements: qui aurait pu prédire l’ampleur que ce nouveau mode de transport prendrait moins de vingt ans plus tard? Bref, Liège-Guillemins était dotée de quatre voies de circulation pour les trains, car le trafic originel était encore modeste. Ainsi, les voyageurs pour Bruxelles avaient-ils le choix entre trois trains journaliers, à 8h15, 12h45 et 16h30, qui couvraient les cent kilomètres en quatre bonnes heures: au moins étaient-ils dispensés des aléas des diligences et autres chars à banc qui sillonnaient la route Liège -Bruxelles, jugée peu sûre et en mauvais état...

Liège-Guillemin en chantier selon les plans de Calatrava. Juin 2007

LES LIÉGEOIS ET LA STATION CENTRALE DE LIÈGE

Mais l’installation d’une gare dans le quartier des Guillemins, à deux bons kilomètres du centre, ne fit pas que des heureux dans la Cité Ardente. Celle-ci revendiquait haut et fort la création d’une gare centrale, plus proche du cœur de la ville. Les protestations étaient d’autant plus vives que d’autres projets ferroviaires se concrétisaient sur la rive droite de la Meuse: la compagnie privée des chemins de fer du Nord Belge y érigeait sa gare terminale, baptisée «Liège-Longdoz». Ouverte dès 1851, elle servit de tête de ligne pour Namur, puis Visé et les Pays-Bas. Elle était aussi le point d’arrivée des ouvriers des nombreux établissements industriels du quartier, notamment les usines Espérance-Longdoz (métallurgie) et Englebert (pneuma tiques), qu’elle desservait par ailleurs par de multiples raccordements industriels. Liège-Longdoz, rivale de Liège-Guillemins, et dotée en 1876 d’un bâtiment monumental copié sur celui de Paris-Nord, resta en service jusqu’en 1960, lorsque son trafic des voyageurs fut reporté sur Liège-Guillemins.

Toujours est-il que la ville fit valoir auprès de l’État belge son droit à l’aménagement d’une station centrale et fit étudier plusieurs projets par l’ingénieur Blonden. Le plus abouti prévoyait la création d’une liaison ferroviaire entre les deux gares, Liège-Guillemins et Liège-Longdoz, par l’île du Commerce: ainsi appelait-on un endroit situé entre l’actuelle avenue Blonden et le boulevard d’Avroy, à l’époque où celui-ci constituait encore un bras de Meuse. Finalement, l’État refusa le projet et maintint l’implantation de «sa» gare à Liège-Guillemins, dans l’axe de la vallée de la Vesdre, voie toute naturelle pour rejoindre l’Allemagne. Liège n’eut finalement sa gare centrale qu’avec l’ouverture de «Liège-Palais», à deux pas de la place Saint-Lambert... et du palais des Princes-Évêques, à l’occasion du percement, entre 1869 et 1877, des tunnels de jonction entre Liège-Guillemins et Liège-Vivegnis. Dans cette dernière gare aboutissaient les voies de la compagnie de chemin de fer privée « Liégeois-Limbourgeois», qui avait pour vocation d’évacuer la production de charbon local vers le Limbourg et les Pays-Bas. Mais cette station centrale a toujours souffert d’un handicap majeur: les trains de la relation avec Bruxelles, les plus chargés, n’y passent pas...

1864: LE DEUXIÈME BÂTIMENT DE LIÈGE-GUILLEMINS

Une fois les polémiques sur l’emplacement d’une gare centrale à Liège tranchées, l’État belge décida de doter Liège-Guillemins d’un bâtiment de prestige, comme dans les huit autres chefs-lieux de province de l’époque d’ailleurs, afin de manifester sa puissance -en pleine révolution industrielle - et sa volonté d’organiser des services publics de qualité: ainsi, rassembla-t-on dans le même complexe non seulement les différents services du chemin de fer, mais aussi ceux de la poste, du télégraphe... puis du téléphone dès que cette invention apparut en Belgique.

Dès 1862 donc, la décision fut prise de construire à Liège-Guillemins un bâtiment de grande allure, dédié au chemin de fer triomphant. L’architecte A. Lambeau dessina une bâtisse de style éclectique d’influence française, comme à Namur ou Charleroi-Sud. Il s’inspira tout particulièrement des bâtiments des gares de Paris-Est et Paris-Nord alors en construction, notamment pour la création d’un tympan vitré au beau milieu de la façade côté ville, dont la fonction était d’éclairer la salle des pas perdus.

Autre particularité du bâtiment construit en 1863: sur le faîte du corps central, trônait une pittoresque Renommée, une statue allégorique représentant une jeune femme, pudiquement drapée, qui semblait porter son regard vers la ville. Elle constituait en quelque sorte un point de repère sur le chemin de la gare. Comme le petit peuple ne savait pas que c’était un simple ornement architectural, il l’avait baptisée Guillemins. Pour la petite histoire, cette statue, affublée d’un paratonnerre, s’écrasa en mille morceaux, place des Guillemins, lors de la démolition du bâtiment en 1955: personne ne pensa à la préserver de la destruction...

La construction de ce bâtiment décida la ville de Liège à créer la «rue des Guillemins», à l’époque dénommée «avenue» et plantée d’arbres. En 1871, on y installa un chemin de fer américain (un tramway tiré par des chevaux) pour relier la gare au centre de la ville. C’est l’origine de la ligne n°1 des TEC. Fin du XIXe siècle, la ligne fut électrifiée. Les tramways qui la sillonnaient ont fait place aux autobus en 1961.

Ce bâtiment restera en service pendant près d’un siècle, tout en subissant divers remaniements et améliorations. Ainsi, dès 1870, le flanqua-t-on d’une gare latérale de cinq voies, pour recevoir les trains du Nord-Belge, des lignes de l’Ourthe, de l’Amblève et du plateau de Herve. En 1881-1882, le bâtiment fut agrandi par une aile droite, vouée aux bureaux de la poste, du chef de station et des petits colis ainsi que d’une galerie couverte de deux-cent-vingt mètres devant la gare proprement dite.

Le dispositif d’éclairage, à l’origine assuré par des lampes fonctionnant au gaz de ville, fut modernisé à la fin du XIXe siècle, lorsque la technologie fut suffisamment au point. La gare fut dotée d’une usine à vapeur génératrice d’électricité: le courant continu produit servit à alimenter des lampes à arc d’éclairage, tandis que la vapeur résiduelle permit même de préchauffer les trains de voyageurs. Pour l’anecdote, les Liégeois de l’époque fulminèrent contre l’administration des chemins de fer qui, de leur point de vue, avait brillamment éclairé la gare, au détriment de la place des Guillemins, un lieu public laissé dans une inquiétante pénombre.

Bien sûr, la gare de Liège-Guillemins disposait-elle d’autres bâtisses, réservées à l’exploitation: deux cabines de signalisation surélevées (les célèbres «block 44» - au pied des plans - et «block 45» le long de la rue Mandeville côté Meuse), pour la manœuvre des aiguillages et signaux mécaniques à l’aide de leviers et de tringles, une remise à locomotives, située à l’époque à Fragnée, non loin du pont du Val-Benoît, un atelier de réparation de locomotives, rue Varin, où les chaudronniers régnaient en maître au temps des locomotives à vapeur qui étaient au fond de «grosses bouilloires», et une vaste cour à marchandises, en plein air, rue du Plan Incliné, à l’emplacement du futur centre routier. On y expédiait et recevait des marchandises de toutes sortes, destinées au marché liégeois. Les plus singulières étaient sans doute les attractions de la célèbre foire d’octobre qui arrivaient par trains entiers. Les métiers forains étaient déchargés rue du Plan Incliné, mais aussi les animaux de cirque, conduits à pied jusqu’au boulevard d’Avroy tout proche.

Tout un spectacle pour les badauds... C’était l’époque des petits métiers du rail: le plus pittoresque était sans doute le garde-salle, qui régnait en maître sur la salle des pas perdus de la gare, où chacun pouvait attendre son train sur d’interminables banquettes en bois verni, autour d’un énorme poêle en fonte typique. Il devait, d’une voix forte, mais toujours en français -alors que le petit peuple liégeois s’exprimait encore en wallon... annoncer tous les trains qui se présentaient à la gare, en indiquant le numéro du quai, l’heure de départ, la destination et les arrêts intermédiaires, car il n’y avait aucune installation de sonorisation. Il mettait aussi à jour le «buffet», tableau de départ des trains, composé de plaques mobiles, émaillées de couleur bleue pour les trains du service intérieur, rouge pour les trains internationaux. Il devait bien sûr poinçonner le ticket de chaque voyageur qui accédait aux quais...

L’organisation de l’Exposition universelle de Liège en 1905 représenta en quelque sorte l’apothéose pour les installations de Liège-Guillemins: en prévision de l’affluence des voyageurs, on décida d’élargir au maximum le plateau des voies en construisant un mur de soutènement rue Mandeville, au pied de la colline de Cointe, pour arriver à un développement maximal de dix voies, dont cinq réservées au trafic des voyageurs -avec passage souterrain -et cinq autres aux marchandises. Les voyageurs étaient abrités par une marquise (verrière), typique des gares à l’époque (il n’en reste plus qu’une seule en Belgique à Anvers-Central). Cette verrière disparaîtra peu avant la Seconde Guerre mondiale pour être remplacée par des plus classiques «quais-parapluie».

Liège-Guillemin avant et après 1958

LES ANNÉES CINQUANTE ET LE CHEMIN DE FER MODERNE: LE BÂTIMENT DE 1958

Après la Seconde Guerre mondiale, le nœud ferroviaire de Liège fut profondément bouleversé. Tandis que le trafic des marchandises disparaissait de Liège-Guillemins, grâce notamment à la dynamisation de la gare de formation de Kinkempois et à l’ouverture de la ligne «marchandises» Kinkempois -Voroux-Goreux, les trains de voyageurs furent concentrés à Liège-Guillemins vu la désaffectation progressive de la gare de Liège-Longdoz, finalement fermée en 1960. L’électrification de la ligne Liège -Bruxelles fin 1955 et la perspective de l’organisation, à Bruxelles, de la fameuse Exposition universelle de 1958, génératrice d’un trafic intérieur et international de voyageurs intense, amenèrent la SNCB à remplacer la construction du siècle précédent.

Le bâtiment de 1958, que l’on vient de désaffecter, a été dessiné par «EGAU», un groupe d’architectes de talent animé par Charles Carlier, Hyacynthe Lhoest et Jules Mozin. Bien de son temps par son caractère résolument fonctionnel, il est d’un style proche des pavillons érigés à l’époque sur le site de l’Expo 58 au Heysel: une combinaison de béton apparent et de murs-rideaux, avec large utilisation du verre. La gare de 1958 est un volume simple, cubique, à quatre niveaux, avec façade type «mur-rideau» presque entière ment vitrée, compartimentée par des profilés en aluminium et encadrée par un mince cordon de pierre calcaire. Un large auvent souligne l’emplacement de la salle des guichets d’un bâtiment assez spacieux pour abriter non seulement les services de la gare, mais aussi ceux du groupe de Liège de la SNCB, puis du district Sud-Est. Le bâtiment de gare est flanqué d’un autre, plus trapu, destiné en 1958 à abriter le centre de tri postal de Liège X et les services de la régie des Télégraphes et Téléphones.

Inspiré de la gare italienne de «Roma-Termini», Liège-Guillemins, version 1958, était finalement un ouvrage très soigné, au point d’abriter plusieurs œuvres d’art: un vitrail de l’artiste Jean Retz, situé à proximité des butoirs des voies de la gare latérale (préservé, il sera réinstallé dans la future gare), un mobile de Paul Bury, suspendu dans la salle des pas perdus... et dont on a perdu la trace, une peinture de Collignon, actuellement en dépôt au Musée d’Art moderne et contemporain de Liège (MAMAC) et... sur le mur du bâtiment de la Poste, un haut-relief de Randaxhe, dont la conservation est, à l’heure actuelle, problématique ... Et pourtant... le bâtiment de 1958 a été jugé sans âme par les Liégeois. Peut-être ne ressemblait-il plus à une gare dans l’univers mental des gens. Est-ce pour cette raison que ce bâtiment, à peine inauguré, fut saccagé lors des grèves insurrectionnelles de l’hiver 1960-1961... à moins que les travailleurs en colère n’aient voulu s’en prendre à un symbole du pouvoir de l’État?

LES ANNÉES NONANTE: SANTIAGO CALATRAVA ET LA GRANDE VITESSE

Ce bâtiment de 1958 n’aura pas duré cinquante ans, tant il a été bousculé par la création de l’axe ferroviaire à grande vitesse Bruxelles -Cologne. Après bien des palabres, et sous l’impulsion du regretté comte Pierre Clerdent, Liège a obtenu le passage de la ligne à grande vitesse «Est» par la gare des Guillemins. Dès 1995, un nouveau projet ferroviaire dut être imaginé aux Guillemins, pour y créer un centre de voyage moderne, intégré, multifonctionnel, accessible à tous les types de trafic ferroviaire.

Dans ce cadre, la gare devait répondre à de nouveaux critères en termes d’accessibilité, de confort des voyageurs, de fluidité des déplacements, d’intermodalité et de sécurité.

Le bâtiment de voyageurs de 1958 et ses infrastructures ferroviaires cumulaient les handicaps: côté Ans, la vitesse des trains à l’entrée et à la sortie de la gare était limitée à 40 km/h, côté Angleur, à 60, les cisaillements à l’entrée et à la sortie de la gare étaient nombreux; le trafic le plus important (axe Bruxelles - Allemagne) était concentré sur les dernières voies de la gare (11 à 14) côté colline de Cointe; la cabine de signalisation (block 45) était obsolète; quatre voies en cul-de-sac (voies 2 à 5) étaient inutilisées.

L’étude de faisabilité conclut à la nécessité de déplacer la gare de trois-cent-cinquante mètres en direction de la Meuse et d’amener l’axe Bruxelles - Liège - Allemagne à front de ville.

Les impératifs ferroviaires, environnementaux et d’accessibilité furent définis: relèvement de la vitesse en gare à 100 km/h et dans les plans inclinés à 120, construction de quais rectilignes d’une largeur de huit mètres et d’une longueur suffisante pour accueillir les doubles rames TGV, rationalisation des cisaillements, suppression des voies en cul-de-sac, construction d’une nouvelle cabine de signalisation, connexion directe avec le réseau autoroutier (dans la perspective de l’achèvement de la liaison E25/E40), limitation des emprises sur le bâti existant. Le schéma ferroviaire en cours de réalisation aux Guillemins-avec ses neuf voies à quai -permettra un gain de trois minutes trente entre Ans et la Meuse

À la suite d’un concours international, la conception du nouveau bâtiment de gare a été confiée à l’architecte catalan Santiago Calatrava, aux références internationales prestigieuses. Liège-Guillemins sera donc dotée d’une cathédrale de verre et d’acier, superbe, ambitieuse, démesurée peut-être...

Vaste espace ouvert sur la ville, la gare s’exposera aux regards, soulignant ainsi sa vocation de lieu d’échanges et de communication. Il n’y aura pas de façades au sens classique du terme, pas de murs, pas d’obstacles, mais une structure rythmée, transparente qui confèrera à l’édifice une singulière fluidité. Quant aux matériaux utilisés -béton blanc, acier, verre et pierre naturelle... - ils devraient encore renforcer une architecture de caractère... Un nouveau défi pour une ville qui peine à sortir de la crise économique! Alors que le bâtiment de gare de 1958 est en cours de démolition, afin de faire place à l’assiette des voies 1 et 2, l’ouverture complète de la nouvelle station est prévue pour la fin 2008. Sous quel nom...? Ici la polémique fait rage: «Liège-Charlemagne»... ou même «Liège-Limburg» (sic)...

Les idées ne manquent pas... Et si l’on gardait plutôt l’ancestral «Liège-Guillemins», que tous les cheminots connaissent mieux par son abréviation «FL», vestige d’une époque où le télégraphe était le principal mode de communication ferroviaire?

Auteur : Roland Marganne

« Le rail »Mensuel des œuvres sociales de la SNCB octobre 2007